Les gouttes d’existence coulent sur la peau durcie de la nuit étoilée. Tu poses tranquillement sur mes lèvres l’odeur humide du désir dans l’attente de l’aube. Nos corps complètent le dôme ténébreux recouvrant les parfums des sous-bois où nous oublions les lumières du passé, il n’y a de vrai que tes yeux rougis de fièvre, et le vent salé plaqué sur nos cœurs. Nous apprivoisons nos forces après chaque caresse endormie.
Il y aura ce jour il y aura la mémoire de ce jour les heures et leurs courses de nuages Il y aura le cœur il y aura le cœur sans attente le vent et son chant de feuilles Il y aura cet été que nous n’atteindrons pas.
Possibles, revue trimestrielle de littérature « Artisan directeur » : Pierre Perrin
Aujourd’hui je reviens à la présentation d’une revue littéraire, pour vous donner le désir de la savourer, la parcourir et vous abonner : Possibles, qui signifie, selon son directeur, « que chaque poète, ou plus largement écrivain, nouvelliste, romancier, essayiste, ici proposé existe pour votre plaisir de lecture ».
Ce très beau recueil se lit d’une traite, comme un récit (on notera d’ailleurs qu’il a un peu souffert dans le sac et le RER). Il parcourt la naissance et la jeunesse de l’auteur, alternant les textes en « je » où Matthieu écrit, et semble nous écrire, tant ce livre est un dialogue avec le lecteur, et des textes en « tu » , en italiques, où un autre observe l’auteur, souvent, croit-on deviner, une mère, un frère. De la naissance au jeune adulte, nous parcourons une vie.
Matthieu Lorin écrit des poèmes en prose, courts, de deux à trois paragraphes (rarement quatre). Il met « sur la même ligne de mire corps, souvenirs et monde concret » comme il le dit dans l’entretien mis en ligne sur le site de son éditeur. Il y a en effet une ligne tendue, permanente dans chaque texte et d’un texte à l’autre. L’auteur nous entraîne dans sa vision d’une enfance et d’une adolescence, intime, douloureuse, parsemée des « éboulements » du titre, jusqu’à la naissance de son propre fils, et un peu au delà. La ligne est aussi tendue d’un mot à l’autre, d’une image à l’autre, créant un effet de surprise et transmettant au lecteur toute la violence mêlée à la douceur et au mystère de l’enfance.
Certains silences happent en soi la parole – la vie s’y engouffre – la poésie de l’instant se fera-t-elle chair une dernière fois? Une main solitaire froisse l’enveloppe profonde de ce qui s’appelait auparavant « moi » – la douleur devient l’antienne de l’ombre intérieure.
Souffrir sans souffrir, se retirer à pas d’oubli, les visages de l’amour flottent dans le bleu dispersé.