Solitude

Certains silences happent en soi la parole – la vie s’y engouffre – la poésie de l’instant se fera-t-elle chair une dernière fois? Une main solitaire froisse l’enveloppe profonde de ce qui s’appelait auparavant « moi » – la douleur devient l’antienne de l’ombre intérieure.

Souffrir sans souffrir, se retirer à pas d’oubli, les visages de l’amour flottent dans le bleu dispersé.

4 réflexions sur “Solitude

    • Merci pour ce commentaire, chère Madame Catta, et cette marque de confiance envers la petite entreprise d’écriture poétique que nous tâchons de poursuivre Aline et moi

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  1. Ce très bref poème intitulé « Solitude » dépeint la solitude d’un narrateur en quête d’identité. D’une concision sculptée à la hauteur de l’intensité émotionnelle qu’il dégage, le poème aborde frontalement ce thème qui y est décrit comme un état autant nécessaire que subi. Étroitement relié au silence éloquent et à la parole mise en échec, le narrateur s’enfonce dans les profondeurs de son intériorité et lentement perd pied avec la réalité. Cette dernière lui apparaît de plus en plus lointaine, voire irréelle et fragmentée. Dans ce contexte, l’écriture constitue le dernier lien fragile qui le relie à la surface de la vie. Quant au lecteur, désarmé, il ne peut que serrer ses doigts autour de ce filin espérant qu’il ne casse pas.  
    Les quelques phrases de ce poème semblent nées d’une intuition fugitive, d’une divagation entre veille et sommeil. L’écriture est à la fois resserrée et éparse. Impressionniste. Bouts de phrases collées les unes aux autres éclairées par le regard intérieur que le narrateur s’empresse de griffonner sur un coin de feuille. Il y a presque une forme d’immanence de l’écriture, qui jaillit en dépit de la volonté du narrateur (« la poésie de l’instant »). L’écriture intuitive se révèle probablement être l’ultime refuge où les émotions se matérialisent et prennent forme. Refuge fragile qui peut disparaître à tout moment comme le suggère l’expression « une dernière fois » et le point d’interrogation qui concluent la phrase : « La poésie de l’instant se fera-t-elle chair une dernière fois ? » Ce texte résonne presque comme une lettre d’adieu ou de renoncement au monde et à la parole avant que le narrateur ne se retire dans son intériorité en quête de lui-même ou de son nouveau moi. IL est possible d’assimiler ce repli sur soi à une forme de retraite religieuse dans un monastère. Le pénitent doit se débarrasser du superflu pour accéder à une sorte d’ascèse qui passe par la solitude et le silence.
    Le poème s’ouvre sur une phrase qui se prête à plusieurs niveaux de lecture. Une première lecture suggère que « certains silences » et non-dits entre le narrateur les personnes qui ont compté dans sa vie se sont installées. Au fil du temps, ces silences, alourdis par l’accumulation d’émotions douloureuses et par le ressentiment, ne peuvent plus être rompus ni réparés par la parole (« Certains silences happent en soi la parole »). Le temps de la parole réparatrice est passé, et rien ne peut plus apaiser les souffrances ni dissiper les malentendus. Il est possible que le narrateur éprouve une forme de regret (« la vie s’y engouffre ») pour avoir laissé passer le temps et les occasions de clarifier les choses, creusant un écart irréductible avec les personnes aimées.
     De plus, la parole qui est une projection vers l’extérieur ne peut que trahir ou traduire approximativement ce que ressent le narrateur. De même, la parole est un lieu propice aux malentendus, qui ne pourra qu’aggraver l’incompréhension. Enfin, le narrateur peut se sentir incapable de s’exprimer, submergé par le trop-plein d’émotions complexes. Les mots échouent à rendre compte de sa désorientation et à traduire le sentiment de perte d’identité « certains silences happent la parole en soi ».
    Ainsi, le silence, condition nécessaire au retour sur soi, s’accompagne inévitablement de la solitude, instaurant une distance avec le monde extérieur et les personnes aimées.
     La douleur devient la compagne inséparable du narrateur. Douleur de la solitude, douleur de la quête d’identité « la douleur devient l’antienne de l’ombre intérieure ». Une douleur profonde et viscérale que le narrateur doit supporter comme une étape inévitable pour construire son nouveau moi. Cela passe par une confrontation à ses blessures anciennes, à son passé et s’accompagne d’une remise en question pour pouvoir avancer et détruire son ancien moi et le monde qui l’accompagnait. La métaphore de l’enveloppe froissée par une main solitaire illustre sa transformation : il observe son passé comme s’il était étranger à lui-même, soulignant une métamorphose profonde. Cette enveloppe évoque la chrysalide ou le sac amniotique, symboles d’une renaissance imminente.
    La dernière phrase du poème détachée du reste du texte laisse le lecteur dans l’incertitude du devenir du narrateur. Elle évoque un effacement graduel de l’image physique du narrateur, comme une mort par désintégration [« se retirer à pas d’oubli »]. Effacement de la vie tout court, comme si le narrateur victime d’une ivresse des profondeurs se laissait couler volontairement aux confins de son moi abyssal et se noyait suggérant une perte d’identité si complète qu’elle équivaut à une forme de libération, voire de mort symbolique (« souffrir sans souffrir »). « Les visages de l’amour flottant dans le bleu dispersé » pouvant représenter les figures de l’amour originel (la mère ?) ou une déception amoureuse qui a fortement blessé le narrateur. Ces visages se dissolvant dans le bleu dispersé montrent peut-être une acceptation de la perte.

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    • à ce beau commentaire, chère amie, j’adosse quelques vers de François Montmaneix

      Une fois que les bruits inutiles
      ont fini de leurrer la parole
      quand le silence baigne le lac
      l’eau dans le soir d’été a ce visage
      d’ombre qui vient de naître
      et son sourire impénétrable
      dissimule un profond secret

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