Mémoire

Œuvre de l'artiste Rabee Baghshani
Œuvre de l’artiste Rabee Baghshani, utilisée pour la représentation « Unveiled, Three Tableaux of Maryam » en juin 2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

« La mort viendra du ciel ». 

J’écoute en moi siffler les bombes comme elles sifflaient dans la mémoire de ma mère, bien avant la fuite – je n’ai jamais su ce qu’elle voyait dans le sillage des avions – était-ce un ciel couchant semblable à celui-ci ? Où suis-je ?

Je parcours des yeux la nuit inversée, éclairée, comme un miroir de pluie, par l’ombre astrale des réverbères sur les bitumes détrempés, mon cœur battant au rythme des pas des danseurs que la rue a improvisés. Est-ce l’écho mélancolique de leur chanson qui m’a immobilisée ? Je reste debout, avec vous, sur cette place, surprise d’y entendre la musique de mes joies éperdues et non le feu de la mort que nous attendons ensemble.

Jadis, j’arpentais les rues sèches du pays des roses, du pays où s’enfante la guerre, faute de femmes libres à aimer – Il les a enfermées dans un linceul noir sans lequel elles seraient nues, roses de chair, pourchassées comme je l’ai été – ô les yeux acérés comme des couteaux ; ici, les avenues, les places devenues familières – le lait du plaisir entre les mains et les seins ronds des sirènes d’une fontaine, exposée comme une noire espérance ; là-bas le bouillonnement des fontaines de sang de Téhéran – sang des martyrs, sang des victimes violées et massacrées pour avoir levé un voile. 

Dans ma mémoire, dans mes livres, sommeillaient tant de guerres du passé, de guerres lointaines et silencieuses. Mais il n’est pas de guerre lointaine, le ciel la transporte – leurs croyances, leurs drones, leurs avions – et les images sur les smartphones, de proche en proche, ré-enfantent la haine en propageant son souffle sur celles qui se sont libérées. 


Le linceul noir est le titre d’une opérette écrite vers 1920 par Mirzadeh Eshghi, poète iranien, né en 1893 et assassiné à Téhéran en 1924. Dans l’opérette il assimile le voile à un linceul enveloppant les femmes qui, à l’instar des morts enfermés dans les tombes, privés de lumière et d’air, vivent dans les ténèbres. L’opérette s’achève par un appel à combattre le voile. « Tant que la femme est dans ce linceul », dit le poète, « la moitié du peuple d’Iran sera morte ». Cité par Chahla Chafiq dans « Le voile des femmes, miroir magique de la modernité mutilée », in Islam politique, sexe et genre. Presses Universitaires de France, 2011

elles seraient nues : expression désignant les femmes sans voile R.M. Khomeiny, (À la recherche de la voie dans les mots de l’Imam, la femme), ibid

Guerre

Nadia Tuéni dans le film Hamasat de Maroun Bagdadi, 1980

La guerre occupe et même hante notre actualité, en nous ramenant à d’autres guerres anciennes et à leurs lectures et relectures. C’est ce qui m’a amenée à choisir de l’évoquer avec une poétesse que j’ai beaucoup aimée, la libanaise Nadia Tuéni, et un texte extrait de ses Archives sentimentales d’une guerre au Liban (1982).

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Histoire

Histoire image

A propos de « Quelle histoire, un récit de filiation (1914-2014) » de Stéphane Audoin-Rouzeau, collection Points, 2015.

Stéphane Audoin-Rouzeau, historien spécialiste de la Grande guerre, a écrit un livre d’histoire qui a la forme d’un récit de filiation. Son livre n’est pas un livre d’égo-histoire mais un livre sur « la prise de possession de l’homme par l’Histoire », suivant un motde Georges Yvernaud (La Peau et les os, Le Dilettante). Et c’est un livre magnifique sur la façon dont l’Histoire traverse les générations et dont un même événement (ici la guerre de 14-18) se décline, sous des formes différentes des pères aux fils.

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