Alors que l’on s’écharpe sur la refondation du collège au point que je ne sais plus où donner de la tête, j’ai relu le livre d’Emmanuel Davidenkoff, Réveille-toi Jules Ferry, ils sont devenu fous ! Je me souvenais qu’il m’avait beaucoup aidée à me sentir moins seule
et moins bête quand j’étais encore parent d’élève, un peu comme lorsque j’échangeais avec des amis très chers qui connaissent le sujet de l’intérieur. C’est ce qui m’a décidée à mettre mon grain de sel dans cette actualité, du point de vue modeste (mais souvent effondré) d’ancien parent d’élève. Comme dans mon précédent article, je me suis appuyée sur d’autres publications qui me semblent s’articuler avec son propos, les livres de Vincent Troger, Christian Baudelot et différentes publications en ligne, dont la liste complète est en fin d’article.
Le plan de l’article est le suivant : Le blues paratextuel du parent ; Soyons un parent savant : cherchons l’origine du paratexte ; Le paratexte pour qui ? Le niveau baisse ou le barrage s’est déplacé ? Sortir du paratexte ?
Le blues paratextuel du parent
Je n’ai pas oublié la première fois où j’ai saisi le manuel pour aider mon fils à faire ses devoirs ou réviser. Je savais que son cartable pesait une tonne, même si le conseil de classe minorait toujours cette remarque (ils n’ont qu’à pas emmener des choses inutiles !), que les livres étaient nombreux et lourds par conséquent, mais je ne savais pas qu’ils étaient si atrocement compliqués. Peut-être était-ce un coup de nostalgie, le regret du livre sobre comme le journal Le Monde (surtout avant) ? Et j’ai culpabilisé en effet, me traitant de vieux schnock jusqu’à ce qu’Emmanuel Davidenkoff, en racontant exactement ce que j’avais vécu, m’a vraiment sortie de ce doute taraudant :
Cette scène se reproduit tous les soirs, dans des centaines de milliers de foyers. Un collégien se tourne vers ses parents : il cale sur une leçon à apprendre ou un exercice à réaliser, et demande de l’aide. Premier réflexe des parents : chercher le cours dans le manuel afin de se rafraichir la mémoire. Peine perdue. Cette quête a en effet toutes les chances de se révéler vaine : dans la plupart des disciplines, les manuels ne reprennent pas les cours ! Ils fourmillent de documents (textes ou images), clignotent de dizaine de couleurs qui sont censées aider au maniement de l’ouvrage. Mais les connaissances, quand elles sont rappelées, se résument à quelques lignes cachées dans un lapidaire encadré intitulé à retenir, l’essentiel.
A l’époque, je m’étais simplement acharnée à tenter de trouver la leçon, faire un lien entre ce que me disait l’élève et les titres, pavés, incises, renvois, séquences etc. Ça m’a quand même pris une partie de la soirée, celle de l’apéro par exemple. Une fois identifié LA page, j’ai découvert qu’il allait me falloir un dictionnaire et que rien ou presque de ce que je savais ne me serait utile. La première question était :
En vous appuyant sur le texte et le paratexte, expliquez à quel genre littéraire appartient cet extrait.
Puis il y avait les situations de communication aussi appelées situations d’énonciation, le locuteur, le destinataire, le récepteur etc. Et, là aussi, je remercie Emmanuel Davidenkoff de me rassurer sur mon propre niveau :
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué… la palme, en la matière, revient incontestablement au français … dont les programmes exhaustifs et répétitifs prennent un plaisir pervers à embrouiller l’esprit des élèves, de leurs parents et parfois de leurs professeurs avec l’irruption dans les programmes (et donc dans les manuels) d’un jargon réservé jusque-là aux étudiants de haut niveau. Non seulement des termes effroyablement techniques ont fleuri, mais en plus les manuels en utilisent parfois plusieurs pour désigner la même chose
Soyons un parent savant : cherchons l’origine du paratexte
Paratexte : notion inventée par Gérard Gennette, critique littéraire et théoricien structuraliste ayant largement contribué au développement de la narratologie. Le paratexte renvoie à tout ce qui entoure et prolonge le texte sans être le texte proprement dit. …Genette distingue deux sortes de paratexte regroupant des discours et des pratiques hétéroclites émanant de l’auteur (paratexte auctorial) ou de l’éditeur (paratexte éditorial). Il s’agit du paratexte situé à l’intérieur du livre – le péritexte – (le titre, les sous-titres, les intertitres, le nom de l’éditeur, la date d’édition, la préface, les notes, les illustrations, la table des matières, la postface…) et celui situé à l’extérieur du livre – l’épitexte – (entretiens et interviews donnés par l’auteur avant, après ou pendant la publication de l’œuvre, sa correspondance, ses journaux intimes…). Le péritexte n’est jamais séparé du texte alors que l’épitexte le rejoint souvent a posteriori.
Dans un livre datant de 1999, Et pourtant ils lisent, Chistian Baudelot, Marie Cartier et Christine Detrez expliquent que l’idée de tout ceci est d’abandonner l’explication de texte au profit des techniques d’analyse en grande partie fondées sur les progrès de la linguistique et qu’il s’agit, « en adéquation avec la révolution structuraliste et sémiotique des années 1970 », de se démarquer, « pour des raisons démocratiques », des dimensions morales et psychologiques de la lecture des grands auteurs, car si la morale est « de classe», la science est « universelle ».
Le paratexte est donc plein de bonnes intentions. Il est intelligent (scientifique), et de gauche (démocratique, contre la morale « de classe »). Son entrée dans l’enseignement secondaire date du milieu des années 1980, en effet entre moi et ma descendance :
Une conception plus scientifique de l’enseignement du français est introduite en seconde, puis en première, en 1986 et 1988. La rubrique formation d’une culture présente dans le programme du collège disparait dans celui du lycée au profit d’une rubrique textes. La substitution de la lecture méthodique à l’explication de texte entérine l’apport de la linguistique. Le texte est désormais un discours…. La lecture méthodique vise au repérage d’un système de formes en vue de dégager les significations du texte. Elle se définit d’abord négativement en écartant paraphrase, distinction arbitraire du fond et de la forme, attribution d’une intention à l’auteur, préjugé esthétique. Ces déviances renvoient à l’explication traditionnelle héritée du XIXe siècle. ..L’enseignant est ainsi amené à rejeter comme étant de la sphère du privé les méthodes de lecture appuyées sur l’intérêt pour l’histoire racontée et l’identification aux personnages pour aller vers une lecture d’interprétation… La lecture ordinaire n’est plus le tremplin vers la lecture savante mais son repoussoir. Les lycéens font l’apprentissage de la mauvaise et de la bonne lecture. La mauvaise lecture répète linéairement le texte (paraphrase) ou encore juge et s’émeut (psychologise). Ces jugements qui parsèment les marges des copies de français ne cessent de faire le procès de la lecture ordinaire.
C’est déjà assez angoissant au lycée. Mais depuis les années 2000, le paratexte a gagné le collège. Comment donc ? La logique, m’explique-t-on, est descendante : les programmes universitaires influencent les contenus des concours de recrutement, qui à leur tour influencent les programmes et les pratiques pédagogiques du lycée, et donc finalement du collège qui doit préparer le lycée. De toute façon, selon Emmanuel Davidenkoff, l’Education nationale n’a jamais su concevoir des programmes cohérents pour le collège depuis l’instauration du collège unique : on a juste transposé les programmes du lycée au collège.
La France est dès lors le seul pays à enseigner la langue en distinguant trois niveaux d’analyse grammaticale (le discours, le texte, la phrase). Les autres pays francophones se contentent de deux catégories et le français n’y est pas moins bien parlé (ils étudient la phrase, mais ne distinguent pas approches du texte et du discours). Que de tels niveaux d’analyse soient pertinents dans l’absolu est une chose ; qu’on tente de les apprendre tels quels aux élèves est aberrant. Et cette aberration vaut bien celle des méthodes d’apprentissage de la lecture en primaire écrit E.Davidenkoff.
Tiens, avec ces méthodes d’apprentissage au collège, l’auteur me rappelle un autre mauvais souvenir. Celui d’une directrice d’école m’assénant avec suffisance que la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture, que j’avais testée pendant les vacances de Noël parce que le professeur s’inquiétait, était « stupide ». Elle ajouta, pour m’achever sans doute, que la méthode globale ou semi-globale « n’existe pas ». Bêtement, parce qu’on m’avait annoncé en début d’année qu’on utiliserait la semi-globale le premier trimestre, je l’avais cru…
Le paratexte pour qui ?
Voici donc des manuels qui déclinent des programmes devenus de plus en plus ambitieux, encyclopédiques et jargoneux. Ils ne sont pas conçus pour les élèves, sauf pour un «élève idéal qui, à peu de chose prêt n’existe pas » écrit Emmanuel Davidenkoff, et auquel ils chargent la barque (et le cartable). Ils pénalisent « ceux qui ont le plus besoin de l’école et des manuels : à savoir les élèves en difficulté ». Ils ne sont pas conçus pour les parents, que l’on prétend être des partenaires du système éducatif car « ils compliquent la vie des familles qui ne maitrisent pas l’intégralité des savoirs scolaires qui seront exigés de leurs enfants, autant dire la majorité et il rend très difficile la tâche d’aider leurs enfants à ceux qui n’ont pas un accès évident à la culture scolaire et ne peuvent pas payer des cours aux enfants ». Or, qui fait de plus en plus les devoirs à la maison ? est-ce que j’exagère beaucoup en disant que ce sont les parents et que même eux ils ont du mal ? Justine Morin, dans L’implication des parents dans la scolarité de leur(s) enfant(s) `a l’école élémentaire : des différences selon les milieux sociaux ? écrit
Depuis une dizaine d’années, on observe « une intensification du suivi familial de la scolarité afin de maintenir l’effort scolaire de l’enfant dans la durée, de l’aider à soutenir la concurrence avec les autres et de mieux se placer sur le marché scolaire et professionnel. …comme le montre Marie Gouyon, en 2002-2003, les parents consacrent environ 30 minutes de plus par mois à aider leurs enfants pour les devoirs qu’au début des années 90. En moyenne, un enfant, qu’il soit écolier, collégien ou lycéen, est aidé quinze heures par mois par ses parents à faire ses devoirs … Il existe une inégalité des familles vis-à-vis des devoirs à la maison en fonction des inégalités sociales … Les parents se sentent souvent incompétents et l’absence d’aide creuses les écarts entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. De même en cas d’échec malgré cette aide, les parents se sentent très coupables.
Ces manuels sont en principe conçus pour les enseignants mais est-ce certain ? Ils leur imposent semble-t-il (et je ne suis pas surprise) un long travail d’explication pour donner aux élèves le mode d’emploi du manuel (ce serait sympa d’en faire profiter les parents ) et de transformer en savoir scolaire transmissible des notions pointues, ce qui est loin d’être évident. Vincent Troger, dans Peut-on encore former les enseignants ? écrit que
cette relation entre savoirs appris à l’université et savoirs à enseigner est en définitive plus complexe qu’il n’y paraît et les jeunes éprouvent en début de carrière de grandes difficultés à simplifier leurs connaissances universitaires pour les adapter au niveau de leurs élèves.
La bonne question n’est peut-être pas « pour qui » mais « pourquoi ». Baudelot soulignait que le rejet de la lecture ordinaire et le choix de la lecture interprétative contribue à distinguer le lycée du collège et rapprocher l’enseignant au lycée de la figure de l’intellectuel. Et si ce mode de lecture a finalement gagné le collège, n’est ce pas notamment, comme l’écrit Mara Goyet, parce que
Le jargon, c’est un truc destiné à anoblir maladroitement le métier d’enseignant (dont la vraie noblesse emprunte d’autres voies), c’est destiné à renvoyer une image flatteuse du métier, c’est une forme de revalorisation symbolique.
Le niveau baisse ou le barrage s’est déplacé ?
On entend beaucoup se plaindre de la baisse du niveau écrit Emmanuel Davidenkoff mais, ce faisant, on parle des résultats des élèves. Et on se lamente qu’il faille baisser les exigences pour emmener tout le monde au bac sans pour autant cesser de complexifier et alourdir les programmes. Je vous le dit tout net, quand je regarde les manuels et les programmes, m’imaginant à nouveau élève, je suis sure de rater le bac. Et, pour remonter encore plus loin, vers mes ancêtres instituteurs radicaux socialistes du Sud Ouest, je les imagine se retourner dans leurs tombes au vu des résultats.
Car le bilan est lourd. Les études comparatives comme le rapport PISA 2012, en l’attente du 2016, décrit un système scolaire français voué à sélectionner une élite restreinte, où le niveau moyen des élèves se dégrade, en particulier depuis 10 ans, un système qui laisse sur le carreau du grave échec scolaire près d’un enfant sur cinq, dans lequel «La corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée … que dans la plupart des autres pays de l’OCDE», où les élèves issus de familles défavorisées sont trois fois plus susceptibles d’être en échec scolaire que les autres, et les recrues des grandes écoles prestigieuses sont à plus de 60% issus de familles de cadres ou d’enseignants.
«Nous sommes, avec le Japon et la Corée du Sud, l’un des pays où l’anxiété en classe est la plus fortement ressentie», rappelle Eric Charbonnier, analyste pour l’OCDE. Claudia Senik estime quant à elle que les Français se disent moins heureux que les autres et en attribue la responsabilité principale au système scolaire, notamment à la contradiction entre élitisme et égalitarisme.
Sortir du paratexte ?
Emmanuel Davidenkoff souligne que cela fait vingt et un ans à la parution de son ouvrage « que rapports et déclarations s’enchaînent pour dénoncer durement les incohérences et aberrations des programmes et que rien ne change en profondeur. » Qu’il s’agisse du rapport du Collège de France en 1985 ( «Propositions pour I ‘enseignement de l’avenir »), de celui piloté par le même auteur, Pierre Bourdieu, mais hors du collège de France, en 1989, de celui de l’inspecteur général Alain Bouchez en 1993, de Roger Fauroux en 1998, de l’Europe en 2004, tous critiquent vivement les programmes, « la tendance à l’ encyclopédisme » et à « la prétention à l’ exhaustivité » et plaident pour leur simplification. Et tous les commanditaires ou destinataires de ces rapports n’en font rien ou presque rien. Du moins rien qui fâche.
Vincent Troger rappelle quant à lui que si la lutte contre l’échec scolaire est devenue une nouvelle mission de l’école « depuis que les diplômes délivrés par l’école ont un lien direct avec les emplois sur le marché du travail, et l’échec scolaire des conséquences directes sur l’insertion professionnelle », la solution adoptée, le « socle commun de connaissances », recouvrant le minimum non négociable que les élèves doivent savoir à la fin de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire, pour la majorité d’entre eux, à la fin du collège a été défini avec des contenus très ambitieux, une ambition encyclopédique qui
illustre la contrainte paradoxale à laquelle est soumise l’école française contemporaine : I’héritage élitiste de son enseignement secondaire l’oblige à poursuivre la logique d’une sélection précoce des meilleurs élèves leurs élèves sur des contenus très ambitieux. Mais les exigences nouvelles de la société la contraignent à combattre l‘échec que provoque cette sélection sévère.
Cette contrainte paradoxale, ajoute-t-il, est d’autant plus douloureuse que l’énumération des nouvelles finalités attribuées à l’école ne s’arrête pas aux questions de formation professionnelle, d’orientation, de transmission d’un socle commun de connaissances et lutte contre l’échec scolaire ou les discriminations. Chaque année ou presque, une nouvelle priorité émerge, toujours justifiée bien sûr, mais qui à chaque fois alourdit la tâche des personnels de l’Education nationale, enseignants compris, comme, en 2012, la campagne «agir contre le harcèlement à l’école».
Il s’agit là d’une prouesse si fréquente aujourd’hui de compliquer le travail tout en diminuant les effectifs et les heures disponibles. Il semble que les liens ne soient plus faits parfois entre deux politiques, celle qui alourdit et celle qui allège. Depuis trente ans, l’Education nationale demande toujours plus aux enseignants et aux élèves, avec toujours moins de temps et de moyens pour y arriver.
Quant aux programmes de français et à leur orientation paratextuelle, ils ont nourrit une fronde constante des professeurs de français depuis plus de dix ans. Et même un Inspecteur général de l’Éducation nationale, Patrick Laudet, en est venu à la critiquer dans un texte de 2008 portant notamment sur les nouveau programmes du collège intitulé L’explication de texte littéraire : un exercice à revivifier.
Il y dénonce la « dérive techniciste », les « schémas actanciels » et autres « champs lexicaux ». La force de la charge, alors que les Inspecteurs généraux sont mesurés dans leur propos et euphémisent leurs critiques laisse à penser que l’on a atteint des niveaux de « technicisation » caricaturaux.
Alors, la réforme actuelle va-t-elle enfin nous sortir du paratexte ? Il est permis d’en douter. Les nouveaux programmes présentés sur le site de l’académie de Paris se proposent d’éviter notamment les écueils des lectures analytiques et la réduction à une approche technique, mais visent entre autre à « comprendre le fonctionnement de la langue », « Construire les notions permettant l’analyse et la production des textes et des discours ». Et l’on y retrouve la notion de notion de diegèse, héritée de la narrativité de Genette.
Je n’ai pu accéder qu’à un seul des nouveaux manuels qui semblent arriver au compte- gouttes. Les manuels nouveaux programmes 2016 de Belin comportent, que ce soit en 5e, 4e ou 3e le mot « paratexte » dans leur lexique. Et s’il est fort difficile de le retrouver hors du lexique, on trouve de nombreuses notions croquignolettes comme la modalisation («moyen pour l’énonciateur de prendre position par rapport à son énoncé et/ou à son co-énonciateur »), ou des propositions limpides de « distinguer un énoncé ancré et un énoncé coupé » (l’énoncé ancré qui correspond au discours, l’énoncé coupé qui correspond au récit) etc.
Du côté de ceux qui critiquent la réforme actuelle, le son de cloche semble le même. Pierre Jacolino dans La grammaire est morte, supprimons la grammaire, écrit que les nouveaux programmes suppriment beaucoup de notions grammaticales mais que
Les seules gagnantes de cette chasse aux sorcières sont les notions issues de la linguistique moderne (des années 70 à nos jours) : cohérence textuelle, connecteurs, détermination, types de discours, expansions du nom, champs sémantique et lexical… Autre emprunt à la linguistique moderne : la manière dont l’élève est censé savoir identifier les natures et les fonctions des mots et des groupes de mots. Concrètement, dans le meilleur des cas, l’élève devrait être capable de désigner un déterminant ou un « groupe » de mots complément, sans jamais savoir quel est son sens ! Pour ce faire, on conseille de faire faire des exercices de « manipulation ». Pour les compléments, il s’agira de les déplacer, supprimer, pronominaliser. Pour les natures de mots comme les déterminants, les noms, les adjectifs (les adjectifs qualificatifs, donc), les pronoms, les verbes et les groupes nominaux, on ajoutera des exercices de remplacement, encadrement, réduction et expansion.
La critique est la même du côté du collectif la réforme du collège en clair qui met en cause l’usage, pour des enfants de 11 à 15 ans,
des notions issues de la recherche universitaire la plus pointue : thème et prédicat, différence (subtile) entre connecteurs et indicateurs de temps et de lieu, théories de l’énonciation… Ces notions si complexes que bien des professeurs ne les maîtrisent pas paraissent soudain plus urgentes à enseigner que la conjugaison du passé simple à toutes les personnes. En deux mots, on diminue ce qui est nécessaire à l’intégration d’une syntaxe précise permettant de mieux lire et mieux écrire, et l’on alourdit les programmes de notions d’une complexité ahurissante.
Bien sur, nous avons tous souri aux expressions incroyables destinées à décrire la natation dans la réforme mais elles ne sont peut-être que la pointe de l’iceberg et si
On ne peut réduire une réforme à quelques expressions jargonnantes (qui n’ont pas échappé aux journaux et autres médias). Ce serait injuste, écrit Mara Goyet. En même temps, c’est quand même terriblement dommage, cette persistance : quitte à réformer le collège, il aurait été judicieux au passage de se réformer soi-même et de se débarrasser à tout jamais de toutes ces cuistreries grotesques, de jeter aux orties cette novlangue idiote, et, après avoir passé en revue le pourquoi conclut qu’ Il n’empêche qu’il serait bon maintenant de s’en débarrasser totalement. Histoire de montrer que nos programmateurs ont vraiment saisi la vraie grandeur de l’enseignement, sa réalité, ses conditions de possibilité. Sinon, c’est vraiment navrant, désolant, accablant.
Comme l’écrit Louise Tourret « à vouloir se tendre un miroir flatteur, ou en ne prenant pas garde aux mots qu’elle emploie, l’école finit par ne plus s’adresser qu’à ceux qui ont finalement le moins besoin d’elle. »
Et comme l’école c’est un peu nous tous, nous voici assez malheureux.
Sources (par ordre de publication)
Vincent Troger, L’école de l’ardoise à Internet, Le Monde editions, Marabout, 1997
Christian Baudelot, Marie Cartier, Christine Detrez, Et pourtant ils lisent, Seuil, 1999.
Emmanuel Davidenkoff, Réveille-toi, Jules Ferry, ils sont devenus fous !, 2006, Oh ! éditions
Lucie Guillemette et Cynthia Lévesque (2006), La narratologie, dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp
Patrick Laudet, inspecteur général de l’éducation nationale, groupe des lettres Place et enjeux de la littérature dans les nouveaux programmes du collège, Les nouveaux programmes de français au collège Séminaires interacadémiques dans les académies de Paris, Lyon, Bordeaux et Lille du 20 janvier au 17 mars 2009
Pascal Guibert, Vincent Troger Peut-on encore former des enseignants ?, Armand Colin, 2012.
Mathieu Deslandes, Le malheur français c’est quelque chose qu’on emporte avec soi, http://rue89.nouvelobs.com/2013/04/03/malheur-francais-cest-quelque-chose-quon-emporte-soi-241113
Mara Goyet, Jargon et les jargonautes, 23 avril 2015, http://maragoyet.blog.lemonde.fr/2015/04/23/jargon-et-les-jargonautes/
Pierre Jacolino, La grammaire est morte, supprimons la grammaire, 11 mai 2015.http://pedagoj.eklablog.com/la-grammaire-est-morte-supprimons-la-grammaire-a117602512
Monique Dagnaud, L’école française est trop élitiste, 2015
http://www.slate.fr/story/104487/ecole-inclusive
Louise Tourret Il faut soigner l’Education nationale de son jargon
http://m.slate.fr/story/81979/soigner-education-nationale-jargon
Nouveau programme de Français : l’analyse d’un auteur de manuel de référence, http://www.reformeducollege.fr/nouveaux-programmes/nouveau-programme-de-francais-l-analyse-d-un-auteur-de-manuel-de-reference
So sad that I don’t speak french. But you have a Nice design 🙂
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Merci pour cet article dans lequel le parent d’élève que je suis reconnait bien son quotidien.
Je trouve qu’en voulant à toute force réduire les inégalités l’école, en tout cas son administration, a confondu les ordres pascaliens de l’esprit et de la charité, et inversé les priorités.
Transmettre le savoir relève de l’ordre de l’esprit et c’est la mission première de l’école.
Laisser le moins d’élèves possible sur le bord de la route relève de l’ordre de la charité et c’est le savoir faire terrain des professeurs, plus que les méthodes conçues sous l’emprise de la sociologie moderne, qui peut le permettre.
Mais quand l’école se donne comme mission première de ne pas créer d’inégalités la transmission des savoirs devient un objectif second et la pédagogie moderne et ses paratextes n’est là que pour donner une caution scientifique à cette inversion des priorités.
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