Voici un verbe autrefois discret devenu parfaitement envahissant depuis quelques années.
Bien sûr, j’avais entendu, et lu, le mot paix. Quand on va à l’école puis qu’on fait des études, surtout de relations internationales, on entend beaucoup parler de guerres. Les deux sont liés puisque si tu veux la paix, prépare la guerre, comme disait un personnage mal identifié. Ce devait être il y longtemps car la phrase nous est venue en latin : Si vis pacem, para bellum, dont les non latinistes doivent se souvenir grâce au fabricant d’arme allemand Deutsche Waffen und Munitionsfabriken qui en utilisa une partie comme une marque déposée pour le Luger Parabellum, l’un des tout premiers pistolets semi-automatiques. Comme quoi le latin peut-être fort mal utilisé, la preuve ultime en étant que le rappeur Booba lui-même a usé de cette formule.
La paix étant à l’origine le fait de passer une convention entre deux personnes, le verbe apaiser en est issu dans les années 1112 pour dire « faire la paix », car chacun sait qu’il faut être au moins deux pour faire la paix. Si c’est l’intérieur on est simplement « en paix ». Ce verbe apaiser a en tout cas glissé vers la signification de calmer, calmer quelqu’un et, si on en juge par Google calmer la toux avec tous ses dérivés-comment calmer la toux la nuit, qu’elle soit sèche ou grasse (car ce n’est pas le même traitement), comment calmer la quinte de toux de laryngite (et là c’est bien différent, surtout la laryngite striduleuse), et enfin dans notre monde moderne fanatique des grands-mères (synonymes de remèdes naturels) quels sont les remèdes de grand-mère contre la toux. On pourrait y ajouter comment apaiser la toux du coronavirus pour passer les contrôles mais n’exagérons rien. La toux étant apparentée au chatouillement de la gorge on voit beaucoup le verbe apaiser à propos des démangeaisons, puis bien entendu des douleurs.
Étrangement nous en sommes venus à apaiser la ville. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, à part le constat que vivre en ville n’est guère paisible de nos jours ? Tous nos candidats aux élections municipales parisienne le disent pourtant « La ville doit être plus harmonieuse et agréable à vivre qu’aujourd’hui. Et pour cela, il faut apaiser l’espace public »; « Ce dossier atteste l’ampleur des actions de la Ville pour apaiser l’espace public », « le Grand Paris de demain, en mettant en œuvre des actions rapides pour améliorer le quotidien des citoyens et apaiser la ville »;« Embellir, apaiser, réenchanter : un nouvel urbanisme pour un nouveau Paris… ».
Mais que peut bien vouloir dire apaiser l’espace public ? Il s’agit, je vous la fait courte, d’empêcher les voitures de circuler. Car on apaise l’espace public en apaisant la circulation « pour parvenir à un partage plus équitable de la rue entre les différents usagers, en accordant une place accrue aux plus vulnérables : piétons, cyclistes, enfants, aînés, personnes à mobilité réduite » (remarquez bien que les usagers vulnérables incluent les cyclistes -et les trottinettistes, alors que leur présence fréquente sur les trottoirs, qui est un des dégâts collatéraux de cette politique, tend à réduire la sécurité des piétons, notamment enfants, aînés etc. Comme quoi les mesures d’apaisement ne rendent pas les gens plus sensibles au besoin de paix des autres). Mais enfin, tout cela est tellement beau sur Internet qu’on ne peut rien opposer aux arguments du type : « En offrant une expérience urbaine positive, la rue invitante, confortable, verte et tempérée favorise les liens sociaux, la vie publique, mais aussi la réappropriation de la rue par les populations vulnérables comme les jeunes enfants et les personnes âgées. »
L’apaisement, comme la guerre, a des stratégies qui sont ici de contraindre la vitesse en réduisant la largeur de la voie et le rayon de courbure des intersections, en rapprochant les bâtiments ou, à défaut, les alignements d’arbres, puisque leur défilement contribue à évaluer la vitesse, en ajoutant des obstacles au tracé (des travaux par exemple), surélevant des portions de la voie (pour les traverses piétonnes), en changeant de revêtement, en aménageant des obstacles, comme des chicanes, des dos d’âne ou du mobilier urbain, en inversant le sens de circulation, en fermant des voies et et top du top en introduisant « des facteurs d’incertitude, comme la possibilité d’irruption d’autres usagers ». Comme quoi, nous les usagers, sommes des cobayes d’expériences peu pacifiantes (je le vois tous les jours en essayant d’intégrer les vélos en sens inverse des rues avant de traverser). Paradoxalement, constatent ces charmants penseurs, « la suppression de la signalisation s’avère non seulement efficace pour ralentir la circulation et fluidifier les parcours, mais aussi pour les sécuriser, puisque le nombre d’accidents diminue alors de manière spectaculaire, à condition d’adapter la configuration de la rue. L’absence de règles rétablit les contacts visuels entre usagers, augmente leur vigilance et la civilité pour réagir et s’adapter aux comportements des autres. Voilà ce qu’a expérimenté et répandu l’ingénieur néerlandais Hans Monderman, dès les années 1970. » C’est un peu comme les embouteillages qui font baisser la pollution.
Il existe aussi des concepts d’apaisement (j’en étais sure qu’on caserait le mot concept !). D’abord, la rue partagée avec ses « zones de rencontre », c’est-à-dire « un périmètre où les piétons, à qui est donnée la priorité, ont les mêmes droits que les automobilistes. Ils sont autorisés à circuler librement sur la chaussée, à y stationner et s’asseoir. La vigilance des conducteurs est favorisée par la faible vitesse de circulation, limitée à 15 ou 20 km/h, voire moins, grâce à des aménagements adaptés. L’accent est mis sur la convivialité de l’espace public et sur l’échelle humaine. Par exemple, il n’existe aucune démarcation entre les trottoirs et la chaussée, l’éclairage est plus bas, la végétation abondante, la signalisation réduite et le stationnement se fait discret ». Il y a aussi la route nue qui exploite le principe selon lequel l’absence de signalisation rend chaque usager de l’espace public acteur et responsable de sa propre sécurité. La route nue est dépourvue de presque tous les équipements routiers habituels, tels que panneaux et feux de circulation, bordures et marquage au sol.
Comme tout cela n’apaise pas tout à fait les parisiens, notamment les piétons et les usagers des transports publics (les bus, métros et RER, par exemple, sont devenus des sortes d’espaces partagés où les vélos, trottinettes et poussettes caddie se mêlent harmonieusement et dans une négociation apaisée constante avec les passagers debout), il faut introduire la gestion des conflits dans le management pour apaiser et améliorer les relations de travail (car une fois arrivé au travail, on est un tantinet énervé). Le management participatif serait une solution pour apaiser les tensions. Que chacun fasse sa police lui-même dans la rue est déjà un bel entrainement au management participatif. Tout cela marche tellement bien qu’on a créé un nouveau concept : se défouler et détruire des choses, c’est le concept offert par les rage rooms. Les entreprises devraient-elles le proposer en interne ? Pas vraiment nous dit Noëmi P, consultante en bien-être : « Lors d’un teambuidling pour le fun (soupir, ndlr) pour l’expérience, pourquoi pas. Mais cela n’aura pas d’effet thérapeutique ». Dommage.
De toute façon nous avons déjà des rage streets qui permettent aux différents usagers de salir et démolir l’espace public que plus personne ne semble apprécier comme sien.
Merci pour ce joli papier.
Et un deuxième merci pour le très joli « trottinettiste » que je lis pour la première fois.
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Aline, je crois qu’il faut que tu apaises ta collège contre la municipalité parisienne 😇
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colère. Il faut que je m’apaise contre les correcteur automatiques
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C’est vrai que j’y reviens beaucoup mais c’est le verbe qui m’as rappelé à ce sujet !
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Ma chère amie, je lis avec un peu de retard ce très joli article qui ne peut que me combler d’aise. Comme nous nous retrouvons (encore) devant les délires de médiocres politiques apprenti-sorciers qui ne font qu’encourager la haine ordinaire en transformant l’espace urbain en arène de violence (je vois d’ailleurs un joli dialogue entre nos deux billets : https://cincivox.wordpress.com/2019/10/21/haissez-vous-les-uns-les-autres/) ! Tu dis tout, et tu le dis si bien. Bravo !
Amitiés
Cinci
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Merci merci cher ami ! je suis heureuse que nous nous retrouvions sur ce sujet comme sur bien d’autres. Amitiés. Aline
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