Phobie

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Le Robert nous a récemment consultés pour choisir, parmi dix mots, le mot de 2016. Au dernier stade de mes informations ce serait islamophobie, qui était notamment en compétition avec pauvrophobie.

Cet excès de phobies me parait très néfaste et j’ai été choquée par le choix du mot islamophobie. Spontanément, je l’ai entendu comme une inversion des priorités et des responsabilités, en faisant oublier que le sujet central est quand même l’islamisme. Je ne suis pas seule à le penser, c’est aussi l’opinion du politologue Gilles Kepel. Enfin, et c’est le pompon, Thomas Guénolé invente un nouveau concept pseudo-psy dans son nouveau livre Islamo-psychose, pourquoi la France diabolise les musulmans.

C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire cet article qui traite des mots en phobie, et en particulier celui d’islamophobie, sujet sur lequel existent déjà beaucoup d’articles et ouvrages intéressants que je placerai en sources ou en liens. Comme je n’arrive pas à faire court, j’ai placé ici les différents points que je vais aborder, pour ne pas vous provoquer de « lecturophobie » !

Voici les sous-titres de l’article

  • Dites-moi vos phobies et je vous dirai ce qui vous fait peur
  • La cage aux phobes
  • L’art de la définition
  • Les phobies nécessaires 
  • De la religiophobie aux phobies des religions
  • La guerre des suffixes de l’islam
  • Le retour du blasphème
  • Se prendre les pieds dans le voile
  • #islamophobie #2017 peser sur les élections
  • Intimidation et Confusion : bienvenue sur Internet

 

Dites-moi vos phobies et je vous dirai ce qui vous fait peur

Le mot phobie vient du grec ancien φόβος / phóbos. Phobos, dont le nom signifie peur, est l’un des deux jumeaux, avec son frère Déimos (dont  le nom signifie terreur), que le dieu Arès (Mars pour les Romains) eut de la déesse Aphrodite (Vénus pour les Romains). Les Grecs anciens honoraient la divinité Phobos afin de conjurer la peur de partir au combat.

L’utilisation du mot phobie pour désigner les peurs irrationnelles s’est développée à la fin du XIXe siècle lorsqu’il est utilisé par la psychiatrie. Sigmund Freud remarque en 1894-1895 que des symptômes phobiques existent dans de nombreuses névroses ou psychoses, notamment la névrose obsessionnelle et la névrose d’angoisse, comme conversion de l’angoisse en terreur suite à une abstinence ou une répulsion face à la sexualité. C’est pourquoi l’humoriste Robert Benchley a écrit, pour définir la psychanalyse,  la phrase dont j’ai fait le titre de cette partie. Le mot entre dès lors dans la terminologie de la psychiatrie et de la psychanalyse pour désigner une peur démesurée et irrationnelle d’un objet ou d’une situation précise, par exemple les araignées. C’est ce caractère de danger irréel qui distingue cliniquement la phobie de la peur. La phobie est généralement ressentie comme irrationnelle par le patient lui-même. La phobie est sans doute le symptôme psychopathologique le plus répandu et fait désormais partie de la catégorie plus générale des troubles anxieux.

La cage aux phobes

 J’emprunte cette expression à Philippe Muray, qui a souvent des diagnostics très justes sur les travers de l’époque :

Je suis frappé depuis quelques années par l’opération de médicalisation systématique dont sont l’objet tous ceux qui ne pensent pas dans la juste ligne : on les taxe de phobie. Et personne n’ose seulement délégitimer cette expression en la problématisant (c’est-à-dire en disant ce que se devrait de dire à tout propos un intellectuel : qu’est-ce que, au fait, ça signifie ?). Il y a maintenant des phobes pour tout, des homophobes, des gynophobes (encore appelés machistes ou sexistes), des europhobes, etc. est-ce qu’on va discuter, débattre, avec un névrosé au dernier degré ? Non, on va l’envoyer se faire soigner, on va le fourrer à l’asile, on va le mettre en cage. Dans la cage aux phobes.

La multiplication exponentielle des néologismes construits avec le suffixe phobie pour désigner des attitudes ou positions peut se comparer avec celle du mot « victimes » et ces deux termes sont d’ailleurs souvent liés. Une liste permet de faire une comptabilité de toutes les phobies, médicales incluses, encore incomplète (la preuve, Islamophobie n’y est pas alors que nous avons Japonophobie par exemple). Albert Morales Moreno, professeur à l’Institut Universitari de Lingüística Aplicada (Universitat Pompeu Fabra) a récemment analysé les néologismes présents dans quelques-unes des lois approuvées par le Parlement catalan avec le néologisme phobie et durant la Xe législature (2012-2015): il en a compté 47 au total, un chiffre en constante augmentation  (Diagnóstico de las fobias neológicas en catalán y castellano).

L’utilisation de ces termes psychiatriques dans le débat public constitue ce que Marc Angenot, professeur canadien de langue et littérature françaises, appelle les « controverses d’étiquetage »:

Les controverses les plus âpres et interminables portent souvent sur les mots avec lesquels on classe et on désigne et l’âpre débat sur les catégories et les dénominations démarre au quart de tour… Je propose d’étendre ce concept au-delà du monde des prétoires pour l’appliquer à un phénomène diffus de la vie intellectuelle et de la vie en société : les polémiques les plus insurmontables n’ont souvent pas d’autre objet que la prétention de classer de telle ou telle façon et dénommer sans qu’il y ait apparemment d’autre enjeu concret et pratique. …Certains concepts présentent le monde « sous une forme jugée ». L’expression est de Roland Barthes dans Le degré zéro de l’écriture : « totalitarisme », « néolibéralisme », etc., d’une certaine manière, avec ces catégorisations, ces étiquettes idéaltypiques tout est dit : si vous acceptez ce vocable pour qualifier une opinion, une théorie, vous vous prédisposez à endosser le blâme et les conclusions qui vont avec. Le procédé de l’étiquetage condamnateur s’attribue motu proprio une autorité, l’apparence au moins d’une délégation d’autorité, du seul fait qu’il qualifie de façon quasi-juridique, que celui qui l’avance se mue en procureur et transforme l’opinion adverse en autre chose qu’une « simple » opinion : une faute, un délit ou même, dans un vocabulaire daté qui garde une prégnance, un blasphème contre le sacré civique et politique, quelque chose enfin qui se désigne à l’indignation publique. Il est des catégorèmes qui sont en eux-mêmes toute une argumentation ou plutôt qui en permettent avantageusement l’économie tout en cherchant à intimider. L’étiquetage accusateur et « diabolisant » est en progrès de nos jours à mesure que le règne des médias « chauds » et des soundbites favorise l’outrancier et décourage la peu spectaculaire discussion sereine et pondérée.

Ainsi que l’écrit le psychanalyste Jean-Paul Mialet, les notions psychiatriques ne sont pas destinées au débat public

Le diagnostic est un constat établi sur l’observation de gens en souffrance : sa valeur n’est que fonctionnelle – il n’a d’intérêt que pour aider ceux qui peuvent bénéficier de soins. A cette remarque valable pour tous les diagnostics médicaux s’en ajoute une autre spécifique au diagnostic psychiatrique : son utilisation hors contexte – même métaphorique – n’est pas sans danger car elle disqualifie l’interlocuteur.

En ce qui concerne le terme phobie lui-même, le psychanalyste Daniel Sibony va plus loin dans Libération en estimant que ces néologismes détournent de son sens le mot phobie, en opérant un glissant de la peur au rejet:

Comment alors expliquer cette confusion où l’on met sous le signe de la phobie des choses qu’on n’aime pas comme par exemple le judaïsme, l’islam, l’Amérique, l’homosexualité ? C’est qu’on opère en silence un curieux raccourci : on se met, par la pensée, à l’instant fictif où ce qu’on n’aime pas aurait pris le pouvoir et nous ferait la loi. Et en effet, si l’on était sous le pouvoir de l’Amérique, de l’islam, ou du judaïsme, cela pourrait faire peur. Si on n’aime pas l’american way of life, ce serait terrible s’il prenait tout le pouvoir sur nous. De même pour l’islam. De même pour l’homosexualité….Bref, un peu de bon sens devrait permettre de dire, sereinement, qu’on n’aime pas le capitalisme américain, ou qu’on n’aime pas l’homosexualité ou le judaïsme ou l’islam, sans être pris pour un phobique de ces choses, ni pour un haineux …Or, au lieu de cela, que fait-on en parlant de «phobie» ? On prétend, en pointant ces «phobies», interdire aux gens d’avoir telle ou telle peur. Mais peut-on interdire d’avoir peur ? En fait, cet interdit, s’il semble inutile ou absurde, c’est qu’il a une autre fonction. Elle n’est pas simple à dire, car elle suppose plusieurs confusions. C’est que le discours du consensus feint de confondre ne pas aimer avec haïr et avec avoir peur. Il se peut que ce consensus (et le discours qui l’organise) se donne pour tâche de briser les réserves que certains peuvent avoir envers telle différence, faite d’idées religieuses ou de pratique sexuelle, qu’il veuille casser ces réticences en les pointant comme des signes de haine ou de peur extrême. L’intention est sûrement bonne, mais les effets sont surprenants, presque contraires à ce qu’on attend. Car très peu supportent qu’on leur dise ce qu’il faut aimer ou ce qu’on a tort de ne pas aimer. Et surtout : ce combat préventif vise l’attitude qu’auraient certains si ce qu’ils n’aiment pas prenait le pouvoir. Et l’aspect préventif n’est pas simple à faire admettre ; il impute aux gens une violence qu’ils n’ont pas, une posture limite qu’ils n’auraient, à la rigueur, que dans des cas limites peu vraisemblables.

L’art de la définition

Les néologismes en phobie sont souvent étymologiquement problématiques et conçus pour englober des choses assez différentes. La xénophobie est l’un des ancêtres des néologismes à « phobie » et elle désigne aujourd’hui le rejet ou la haine des étrangers. Or, le mot grec Xenos désignait un hôte, un étranger qui a le droit à l’hospitalité. Il a longtemps été utilisé poliment pour désigner une personne dont le nom n’est pas connu. Lorsque le mot xenophobia est apparu en anglais vers 1884 il désignait une agoraphobie (peur de la foute et des lieux extérieurs) avant d’être employé dans les années 1910-1920 pour designer l’apartheid en Afrique du Sud. Le mot est apparu dans la langue française au début du xxe siècle, dérivé du néologisme « xénophobe », dont l’invention est attribuée à Anatole France, en 1901 dans son roman Monsieur Bergeret à Paris. Il entre dans le Nouveau Larousse Illustré de 1906, en relation avec l’Affaire Dreyfus.

Le terme xénophobie a tendance à remplacer le racisme du fait qu’il englobe plus de choses et il est souvent utilisé pour ce motif. Bien entendu, on comprend que le fait que les races n’existent pas puisse amener à trouver un autre terme. Cependant, paradoxalement, le terme de race est revenu sur le devant de la scène avec le Parti des indigènes de la République qui se place sur le terrain de la défense politique de tous ceux qu’il appelle les « indigènes », c’est-à-dire des victimes du colonialisme, autrement dit les « racisés » ou « racialisés ». Un parti qui s’arrange avec la difficulté de définir les racialisés comme d’ex-colonisés du fait des contre-exemples ( les Turcs par exemple) comme l’explique sa porte parole  Houria Bouteldja

on n’a pas besoin de venir de l’histoire coloniale pour être racisé et infériorisé dans la mesure où c’est la France qui est coloniale et qui décide qui elle infériorise. Et les Turcs ayant cet attribut de musulmans sont infériorisés. C’est la France qui est raciale. 

Le PIR est une organisation pratiquement non mixte : il y a des blancs, très peu, mais de toute façon ils ne restent pas longtemps. Ils ne se sentent pas bien, ce que je comprends, qui prône le mariage communautaire car

les indigènes se sont rendus compte que les filles partaient de chez elles pour se marier avec des blancs et que cela détruisait la structure familiale à laquelle ils tenaient, à mon avis à juste titre. ..Aujourd’hui, il y a une forme de pragmatisme. Il y a énormément de mariages mixtes. On règle le problème avec la conversion, ce qui me semble être au fond un compromis acceptable si bien sûr on comprend que l’intérêt des indigènes, c’est-à-dire des dominés, doit prévaloir. Les indigènes ont su créer un rapport de force pour endiguer la blanchité et je pense qu’il faut savoir le respecter…La perspective décoloniale, c’est s’autoriser à se marier avec quelqu’un de sa communauté. Rompre la fascination du mariage avec quelqu’un de la communauté blanche. C’est tout sauf du métissage — une notion que je ne comprends pas d’ailleurs, je ne sais pas ce que c’est.

C’est dans la ligne de ce militantisme que des organisations dans cette mouvance ont pu convoquer à Reims, du 25 au 28 août 2016, un « camp d’été décolonial » dans lequel les «non-racisés » (c’est-à-dire les Blancs) étaient tout bonnement interdits. Lors du mouvement contre la loi travail, au printemps dernier, des Assemblées générales ont été organisées dans des facultés, notamment à Saint-Denis et à Tolbiac à Paris, réservées aux «racisés ».

Parfois, une redéfinition du blanc fort distrayante est nécessaire dans ces luttes: ainsi dans les notes de bas de pages de Piège grossier : à qui le dis-tu Joffrin ?  de Leyla Larbi et Sihame Assbague sur le site Contre-attaques pour en finir avec l’islamophobie, on peut lire cette précision : « Blanc»   Ici, le mot « blanc» est entendu au sens de catégorie sociale et non ethnique, renvoyant aux privilèges de l’individu et non à sa couleur de peau.

Le terme Homophobie est encore plus compliqué et étymologiquement problématique puisque littéralement il signifie « la peur du même » (du grec ancien ὁμός, homos (« semblable  »). Si l’on voulait parler correctement on dirait homosexualophobie. Le terme dans son usage de peur ou rejet des homosexuels a été créé en 1971 par le psychologue George Weinberg dans son livre Society and the Healthy Homosexual, dans lequel « homo » est l’apocope de homosexuel. SOS homophobie précise ainsi : « Ce n’est pas une construction étymologique puisque « homo » ne renvoie pas au radical grec. » Plusieurs termes alternatifs ont été proposés depuis la création de celui-ci : «hétérosexisme» qui se réfère à une préférence pour l’hétérosexualité vis-à-vis de l’homosexualité, «hétérocentrisme» ou «hétéronormativité»  pour les partisans de la théorie pro-queer. Une certaine littérature psychologique a suggéré le terme «homonégativité ».

Le problème du terme homophobie, tel qu’il a été utilisé notamment contre la Manif pour tous, selon Ingrid Riocreux, est qu’il est

Pratique –ou dangereux, selon le point de vue qu’on adopte. Il a effectivement ceci de commode qu’il permet d’effacer la différence entre, disons, la brute épaisse qui aime « casser du pédé », le catholique qui considère que l’homosexualité est un péché et l’homosexuel qui milite contre le mariage gay au nom d’une conception traditionnelle de l’union conjugale. Le Rapport 2014 de la lutte contre l’homophobie rédigé par les bénévoles d’ SOS Homophobie stipule, de manière très large… Est ainsi homophobe toute organisation ou individu rejetant l’homosexualité et les homosexuel-le-s, et ne leur reconnaissant pas les mêmes droits qu’aux hétérosexuel-le-s. L’homophobie est donc un rejet de la différence, au même titre que la xénophobie, le racisme, le sexisme et les discriminations sociales, liées aux croyances religieuses, aux handicaps, etc. Si l’on s’en tient à cette définition, être opposé à la PMA et à la GPA est une posture homophobe…

Les phobies nécessaires

La concurrence est de règle ici, comme pour les victimes. Ne pas être victime d’une phobie équivaut à ne pas exister politiquement et juridiquement. C’est pourquoi on lance sans cesse de nouvelles phobies. C’est pourquoi aussi ce sont des termes qui ne durent pas toujours assez longtemps pour entrer dans les dictionnaires.

La démarche peut-être illustrée par le terme gynophobie. Une association reconnue d’intérêt général, Ensemble contre la Gynophobie, présidée par Lisa Azuelos, s’est donnée pour objectifs de faire émerger le mot, défini comme l’hostilité, explicite ou implicite, envers les femmes parce qu’elles sont femmes, et de créer un mouvement mondial afin de qualifier et dénoncer tous les actes de gynophobie. Sur le site dédié à cette opération on peut lire :

La haine de l’autre dans sa différence est définie par un mot, le racisme. La haine des juifs a un mot, l’antisémitisme. La haine des musulmans a un mot, l’islamophobie. La haine des homosexuels a un mot, l’homophobie. La haine des femmes n’a pas de mot. …Si créer un mot peut sembler superflu face à l’atrocité de certaines violences, il s’agit ici de faire un détour par l’histoire d’un autre mot pour comprendre ce que le langage peut accomplir. La politique raciale de discrimination en Afrique du Sud de 1948 à 1991 a été abolie en partie parce qu’il existait un mot, « apartheid », pour qualifier ce traitement dégradant fondé sur une couleur de peau et une infériorité raciale supposée. Des sociétés et des pays ont pu se fédérer pour que l’Afrique du Sud se voie exclue de la communauté internationale et subisse peu à peu un embargo, et ce, au-delà des intérêts de la realpolitik. Il doit en être de même, aujourd’hui, pour les violences dont souffre la moitié de l’humanité. La cause des femmes manque d’un mot suffisamment fort pour créer un impact similaire à celui du mot apartheid et faire bouger les lignes.

Ironiquement le premier résultat de la recherche google sur le terme m’a donné, au moment de la conception de cet article un jeu vidéo dans lequel le Gynophobia y est « un tireur d’horreur avec une peur des femmes. »

Pauvrophobie ou «paupérophobie»,  «ptochophobie» ou «misérophobie » font partie des termes sur lesquels se sont penchées  l’association ATD Quart Monde pour « nommer la discrimination pour précarité sociale ». Les propositions une fois retenues grâce à la campagne #UnNomPourDireNon sur Twitter, ont permis de choisir le néologisme pauvrophobie, le plus plébiscité. Confortée par l’Académie Française dans l’idée «qu’il n’y a pas de terme équivalent à raciste ou homophobe pour désigner qui a des préjugés de classe», ATD Quart Monde entend aujourd’hui faire entrer le néologisme dans le vocabulaire courant. Pour qu’il intègre le dictionnaire, il faut 30.000 occurrences, note Typhaine Cornacchiari qui se réjouit déjà d’avoir entendu le journaliste Denis Robert ou encore l’animateur Mouloud Achour employer ce terme à la radio ou la télévision.

Le raisonnement, avec ses glissements, est bien perceptible dans les propos de Pascal Praud : « La pauvrophobie, c’est vous, c’est moi, qui, dans la rue, nous écartons si nous croisons ce qu’on appelait jadis un clochard, et qu’on nomme aujourd’hui un SDF » ; « La pauvrophobie n’est pas la peur de devenir pauvre, mais la peur de ceux qui le sont » ; « Pauvrophobie comme xénophobie ou homophobie, c’est une discrimination ».

Récemment est apparue la glottophobie, ou « xénophobie linguistique » forgée par Philippe Blanchet, sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes 2, pour désigner les discriminations linguistiques de toutes sortes qu’il définit ainsi :

Le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques (perçues comme des langues, des dialectes ou des usages de langue) usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques (et sans toujours avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits sur les personnes). Le terme glottophobie insiste sur le fait que, comme pour la xénophobie, l’homophobie ou la judéophobie, c’est bel et bien sur les personnes et pas seulement sur leur caractéristique réelle ou supposée (ici l’étrangeté, le comportement sexuel, la religion) qu’elle s’exerce. Cette discrimination linguistique s’appuie non seulement sur des façons de parler une langue (comme « avoir un accent » en français) mais aussi sur le fait de parler d’autres langues que la langue attendue, imposée, survalorisée

Ainsi, estiment les partisans de ce néologisme, la langue peut se tourner en instrument de domination idéologique et d’oppression lorsque certains groupes sociaux imposent une langue standard à l’ensemble d’une population, déconsidérant les variétés régionales ou les parlers des autres catégories sociales. Voici un exemple que donne Philippe Blanchet de glottophobie pratiquée, voire « légitimée », par des institutions, ici l’Education Nationale:

Dialogue observé et recueilli dans une classe d’accueil d’une école primaire française (où des enfants non francophones dits « nouvellement arrivés » apprennent le français) :

 « Professeur d’école (PE) : « Comment tu t’appelles?

– élève nouvellement arrivé (ENA) : « Ahmed » (il prononce le h)

– PE: « En France on ne prononce pas les H. Tu t’appelles Amed. Répète ton nom. Amed »

L’enfant pleure.

De la religiophobie aux phobies des religions

Depuis la montée de l’islamisme et les conflits menés dans de nombreux pays du monde par de nombreux groupes qui s’y rattachent, les suffixes en « phobie » les plus problématiques tournent autour des religions du livre. Paradoxalement en apparence, les croyants d’autres religions que l’islam, ciblés en tant que tels par des attaques violentes pour leur croyance dans bien des pays où des mouvements islamistes existent et par l’EIL, n’ont pas réussi à faire émerger un néologisme en phobie qui ait le succès nécessaire. C’est le cas de la christianophobie et même de la judéophobie. Il est vrai que dans le cas de la judéophobie, l’antisémitisme est un mot plus ancien et déjà très répandu qui peut désigner peu ou prou la même chose.  La judéophobie avait été proposée notamment dans un essai publié en 2002 par le politologue et historien des idées Pierre-André Taguieff : La Nouvelle judéophobie suivi, en 2004, de Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire. Taguieff y définit la judéophobie comme « l’ensemble des formes historiques prises par la haine des Juifs, et plus largement par toutes les passions, croyances et conduites antijuives dont les manifestations furent (et sont) les violences, physiques ou symboliques, subies par le peuple juif» et définit l’antisémitisme comme « la forme racialiste prise par la judéophobie au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, dans le cadre des doctrines racialistes fondées sur l’opposition Aryens/Sémites. » Le néologisme qui a réussi c’est l’islamophobie, malgré sa grande ambivalence puisque, si les musulmans sont les premières victimes des attaques des islamistes, ces attaques sont conduites au nom de l’islam. Le néologisme a été construit d’ailleurs en concurrence avec l’antisémitisme qui, pour ses concepteurs, interdirait toute critique des Juifs et d’Israël.

Un débat virulent a eu lieu sur l’origine du terme islamophobie.  A-t-il été créé dans les années 80 par les mollahs iraniens ou par les administrateurs coloniaux et savants au XIXe siècle ? Comme souvent, la réponse est dans les détails (j’éviterai de citer le diable dans un article qui touche à la religion). Le terme existait au XIXe siècle, en opposition avec celui d’islamophilie (fascination savante ou profane de l’Europe pour la civilisation islamique). Demeuré très rare et réservé à des emplois savants et administratifs il a commencé à être utilisé en Grande Bretagne dans son sens actuel au milieu des années 90. Le contexte est celui de la parution des Versets sataniques de Salman Rushdie aux éditions Penguin suivi de la création d’organisations favorables à la fatwa de l’Ayatollah Khomeini contre l’écrivain. L’année 2001, celle du 11 septembre, voit se diffuser le terme à l’ONU, notamment lors de la Conférence de Durban contre le racisme. La lutte contre l’islamophobie est aussi l’un des chevaux de bataille de l’Organisation de la conférence islamique. C’est aussi à partir de 2001, mais surtout durant les élections de 2008 et à l’occasion d’une controverse en 2010 sur la construction d’une mosquée et d’un centre communautaire proches du lieu de l’attentat, selon Jocelyne Cesari, que le terme se diffuse aux États-Unis. En France, la promotion du néologisme est due à l’action d’associations et de groupes depuis le début des années 2000. La première est l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), une fédération d’associations devenue un interlocuteur privilégié de l’État français pour la gestion de l’islam en France puisqu’elle occupe actuellement un tiers des sièges au Conseil français du culte musulman (CFCM). L’UOIF dont la «maison mère» est l’Union des organisations islamiques en Europe, basée à Londres, est proche de la Ligue islamique mondiale et elle puise ses références dans la doctrine des Frères musulmans. Le principal acteur est le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), une association de défense des droits de l’homme (ADDH) fondée en 2000, dont la mission est de combattre l’islamophobie depuis 2003. Il œuvre avec Mamans toutes égales, le Collectif une école pour tout-es, Féministes pour l’égalité, Alcir (Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes) et le Parti des indigènes de la République (PIR) déjà cité.

Le terme fait son entrée au Petit Robert en 2005, défini comme une forme particulière de haine dirigé contre l’islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés maghrébins. Le Grand Robert, dans son édition 2015, a écourté cette définition qui s’accorde dorénavant avec celle du dictionnaire Larousse, pour lequel l’islamophobie renvoie à l’hostilité envers l’islam, les musulmans. La CNDH le mentionne dans l’édition 2013 se son rapport où elle est définie comme l’apparition d’une quasi phobie, c’est-à-dire d’une peur intense à l’égard de l’islam et des musulmans en France, générant un climat d’angoisse et d’hostilité à leur égard. Des institutions européennes ou occidentales comme le Conseil de l’Europe ou l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) ont légitimé l’usage du terme islamophobie.

La guerre des suffixes de l’islam

La stratégie du CCIF et des mouvements qui mettent en avant la lutte contre l’islamophobie en France semble bien de renverser la situation en attribuant la responsabilité des attaques violentes ou des pressions de l’islamisme à la société française et à son islamophobie. Remplacer un suffixe par l’autre, isme par phobie. En voici un exemple parmi tant d’autres : Le CCIF écrit, dans son rapport 2015, l’année où la France est frappée par sept attentats ou tentatives d’attentats commis au nom de l’Islam et revendiqués par l’EIL:  (c’est moi qui met en gras les mots et les formules par lesquelles s’exerce à mon sens cette inversion des responsabilités, avec des enchainements d’ordres et d’appels au dialogue, et l’insertion de citations d’autorités morales servant le propos)

La montée des actes islamophobes, en réponse aux attentats, atteste d’un amalgame entre terrorisme et islam. Le CCIF appelle les dirigeants politiques, les journalistes, et tous ceux qui construisent le sens des évènements, à effectuer, sans nuances, la dissociation. La radicalisation de jeunes Français doit être pensée comme un effet de leur désocialisation, comme un produit de notre société pour parler comme le sociologue Didier Fassin. Un simple regard sur les trajectoires des terroristes français, tous issus des zones urbaines sensibles, suffit à pointer « les échecs de l’action publique en direction des classes populaires ». Ces dernières pâtissent de la ségrégation urbaine, des inégalités d’accès à l’éducation, du chômage de masse, des discriminations à l’emploi; autant de dysfonctionnements à l’origine de frustrations sociales. Aussi, les attentats sont à appréhender comme un « retour du boomerang » consécutif à la politique internationale française, comme le pense le chercheur Jean-François Bayart…C’est bien en tirant les bonnes conclusions qu’il sera possible, d’un côté, de lutter efficacement contre le terrorisme et, de l’autre, de préserver les musulmans de France d’une « double peine….Pour sortir de cette situation sociale, le CCIF prône le débat, la recherche de causes socio-économiques, le dialogue avec le monde de la recherche, la consultation des associations de terrain pour construire collectivement la cohésion sociale. Force est de constater que le gouvernement n’a pas fait ces choix, que ce soit suite aux attentats de janvier, lorsque le ministère de l’Éducation Nationale a créé la division au sein des écoles, ou que ce soit suite aux attentats de novembre, en décrétant l’état d’urgence autorisant les perquisitions abusives. Ces dérives attestent de la cristallisation de l’islamophobie au sein même des institutions de la République.

Autre exemple, Marwan Muhammad, son directeur exécutif, lors de la présentation du rapport du CCIF 2016, année où l’on constate une baisse des actes recensés comme islamophobes accuse « les critères très subjectifs » des pouvoirs publics en matière de perquisitions et d’assignation à résidence d’avoir contribué à accréditer l’idée que « le problème sécuritaire est un problème musulman ». (Le Monde, 2 février 2017, Cécile Chambraud, Les actes antimusulmans ont fortement reculé en 2016). Outre qu’il parait stupéfiant d’affirmer qu’il n’y a pas de liens entre ce terrorisme et l’Islam, la présentation des causes de la radicalisation peut-être tout à fait différente.

Cette volonté de renverser la responsabilité permet, autre objectif, de souder la «communauté» derrière la lutte contre l’islamophobie et victimiser l’ensemble des musulmans face à une société française islamophobe. Cette démarche favorise ce qu’Amélie Boukhobza appelle une « identité de rupture » :

Le processus par lequel une personne se dote d’une identité façonnée par des valeurs et des lois spécifiques, ici les lois de l’islam, qu’elle considère comme étant au-dessus de l’identité démocratique, républicaine, française et/ou occidentale. Dans cette identité, l’identité musulmane prend une place prépondérante puis unidimensionnelle, les autres facettes identitaires de la personne étant rejetées. Parmi ces lois « supérieures », il y la séparation entre hommes et femmes dans l’espace public, la nourriture halal, le haram/pas haram, la distinction du genre humain entre vrais croyants et mécréants. …

Pour elle, si certaines de ces personnes sont bien réellement victimes d’humiliations, de relégations sociales

c’est l’utilisation et l’exacerbation par certains leaders et agents de terrain du sentiment d’humiliation qui conduit d’autres personnes à la rupture identitaire, et ceci, selon moi, depuis le milieu des années 2000. C’est cette stratégie qui a conduit à une généralisation de ruptures identitaires porteuses de violence et de contestation agressive de la société. La généralisation de cette identité, fruit d’une stratégie consciemment orchestrée par certains, c’est ce que j’appelle l’identitarisme de rupture. Parfois même, j’ose dire que le sentiment d’humiliation a précédé l’humiliation ou a frappé des personnes qui n’étaient pas en situation de victimes. 

Cette précision nous rappelle, ce que le débat sur l’islamophobie cherche à faire oublier, que s’il y a de la radicalisation c’est qu’il y a, comme le rappelait Kamel Daoud sur France culture ce matin même, une offre idéologique puissante et puissamment financée.

Pour faire entendre cette idée d’une France islamophobe, il faut des chiffres. Et, comme toujours, ces chiffres on les trouve en agglomérant des réalités totalement différentes. Il s’agit même, dans un mouvement parallèle à celui de l’inversion des responsabilités, de recenser comme islamophobes les contentieux imposés par la pression exercée pour imposer des pratiques prosélytes, les interdictions aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires, la fermeture des mosquées prêchant la haine etc. Le CCIF fournit toujours des chiffres beaucoup plus élevés que les autres institutions chargées de mesurer le racisme et les discriminations car il recense les discriminations d’origine institutionnelle dans l’enseignement, dans la police, les collectivités locales…et dénonce la quasi omniprésence d’une islamophobie politique dont l’épisode des arrêtes anti-burkinis de l’été aurait été le concentré, estimant que Manuel Valls avait validé la posture d’exclusion. Marwan Muhammad affirme, tout en prétendant s’interroger et en appeler aux « chercheurs » suivant une technique éprouvée, qu’il existe une islamophobie d’Etat:

S’agit-il d’un racisme d’Etat ou d’une islamophobie d’Etat ? Nous laissons aux analystes le soin de juger. La puissance publique valide, encourage la posture de l’islamophobie.

Le retour du blasphème

Choisir le terme islamophobie conduit à mettre sur un pied d’égalité la critique du dogme musulman, voire la mise à jour du lien entre l’islam et l’islamisme, et les manifestations de haine ou de racisme à l’égard des musulmans, qui existent bien mais qui sont deux choses bien différentes. Le concept ainsi défini interdit donc toute critique d’une religion et ce faisant s’attaque à l’application des lois de la République et de la conception française de la laïcité. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), d’ailleurs souligne les imperfections du terme, le distinguant des actes délictueux au mobile antimusulman qui tombent sous le coup de la loi pénale. Estimant que l’islamophobie renvoie sémantiquement à la religion musulmane, et ne saurait donc, au sens strict du terme, relever des formes de racisme, examinant plusieurs termes alternatifs, la CNDH conclut que d’un point de vue terminologique, aucune des expressions employées n’est exempte de griefs. Finalement, c’est moins la parfaite exactitude de la sémantique de notions aux contours souvent difficiles à délimiter, que leur large appropriation et leur force expressive qui devraient plaider en faveur ou non de leur emploi.

De plus, comme l’écrit Laurent Bouvet

En France, aujourd’hui, s’il y a bien des formes de racisme anti-musulman qui s’expriment, et parfois des actes qui se commettent, outre qu’ils sont répréhensibles et réprimés – je pense notamment aux outils mis en place avec la DILCRA notamment depuis 4 ans pour améliorer les signalements et conduire à des poursuites pénales -, il n’y a pas eu de musulman qui ait été assassiné à raison de sa religion en France – à l’exception des militaires tués par Merah en 2012 et du policier abattu boulevard Richard-Lenoir par les frères Kouachi en janvier 2015. Encore ont-ils été tués sans doute davantage parce qu’ils portaient l’uniforme qu’à raison de leur confession supposée. Et en tout cas, il ne s’agit pas de crimes «islamophobes». Tous les musulmans morts dans l’attentat de Nice par exemple n’ont pas été visés en tant que tels. Dans le cas de l’antisémitisme, outre les paroles et les actes, nombreux, les victimes de Merah dans l’école juive en 2012 ou de Coulibaly à l’Hyper Cacher en janvier 2015 l’ont été parce qu’elles étaient juives et visées comme telles.

Le CCIF affirme ensuite que l’islamophobie n’est pas une opinion mais un délit. Il s’agit d’un jeu sur les mots. Une fois l’islamophobie définie de façon à inclure toute critique d’une religion et toute politique publique luttant contre la volonté des islamistes d’imposer, par la violence ou d’autres moyens, leurs règles, il ne reste plus qu’à attaquer en justice tous ceux qui osent critiquer l’islam, estimer qu’il y a bien un lien entre Islamisme et Islam ou qui jugent que le voile ne doit pas être imposé en France. Mais les attaquer non pas du fait d’une islamophobie qui n’existe pas dans le code pénal mais pour provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers des personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée en application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

C’est ainsi que nous connaissons depuis quelques années des procès pour délit d’opinion au cours desquels on voit le CCIF intervenir, parmi d’autres, en tant que « victime » des propos de tel intellectuel, journaliste ou écrivain. Le dernier en date est celui de l’historien Georges Bensoussan, responsable éditorial du Mémorial de la Shoah, poursuivi par le Parquet « pour provocation à la haine raciale », sur dénonciation du CCIF, pour des propos tenus lors de lʼémission Répliques, sur France Culture à propos de l’antisémitisme dans les familles arabes,  procès dont le verdict doit être rendu le 3 mars. Des recensions fort intéressantes de ce procès ont été faites, notamment dans Bruit Blanc magazine  et quoi que l’on pense des propos tenus, on peut constater qu’ils sont très proches dans leur signification de ceux du sociologue d’origine algérienne Smain Laacher (lequel n’est pas poursuivi) dans cette même émission.

Se prendre les pieds dans le voile

Refuser le voile et limiter son port est donc de l’islamophobie pour le CCIF. C’est bien une question essentielle. Et elle est avant tout essentielle pour les islamistes. C’est déjà important de pouvoir le dire, car cela a longtemps été inaudible. Je me souviens que lorsque la révolution iranienne suscitait l’enthousiasme il était impossible de suggérer à un interlocuteur de gauche que l’un des objectifs centraux des Khomeinistes était de stopper la promotion de la liberté féminine. Cette impossibilité d’entendre s’est cependant hélas reproduite lorsque Kamel Daoud l’a soulignée après les événements de Cologne et les pratiques du CCIF tentent de rendre impossible de formuler ce simple constat.

Par expérience personnelle et par mes lectures, il y a une chose dont je suis sure c’est que l’argument de la liberté de choix de se voiler est un leurre et un jeu sur les mots (de même que les comparaisons du hidjab et du niqab avec les foulards si fréquents sur les cheveux des femmes ici comme ailleurs sont une lamentable tromperie). Tout d’abord ces tenues sont la matérialisation d’un prosélytisme politico-religieux et non une manifestation de pudeur (ce n’est pas un hasard si le mouvement de dévoilement des femmes en islam, engagé en 1920, s’est totalement renversé 50 ans après, sous la pression des islamistes). Ensuite, la question ne se pose pas ainsi pour chaque femme individuellement (individuellement, même sous pression, on est libre de s’habiller comme on veut) mais collectivement car ce « choix » se répand et s’impose à une famille, puis un groupe, puis un quartier, un lycée etc. Une fois que la majorité des filles et femmes de ce groupe ont accepté ce voile, la vie devient impossible pour les autres. Il n’est plus possible de ne pas respecter la règle, qui devient une loi (non écrite bien sur et supposée être un libre choix).

Nous sommes dans une situation complexe sur ce sujet et je suis en accord avec le point de vue de Christophe Penaguin

En réalité, le seul argument sérieux à opposer au port du voile est tout simplement qu’on n’en veut pas en France. C’est la raison pour laquelle ce débat est l’occasion de tant de discours spécieux tout en étant, en même temps, parfaitement légitime. Seulement, et c’est le piège dans lequel se trouve la gauche, la question du voile ne peut pas sérieusement être posée en d’autres termes qu’identitaires. Il s’agit bien en effet, et il ne s’agit que de cela (mais ce n’est pas rien), du type de société dans lequel nous voulons vivre.

Pour tout arranger, l’évolution du féminisme qui a l’oreille de nos politiques et des médias, le féminisme victimaire axé sur les violences faites aux femmes et sur le harcèlement de rue-avec ses statistiques parfois tout aussi gonflées que celles de l’islamophobie- contribue à affaiblir la défense de notre modèle de société d’égalité et de mixité. Tout d’abord, ces féministes militent pour des droits spécifiques (légitime défense « différée », juridictions spécialisées etc) voire des espaces non mixtes pour se protéger de la violence ou la lubricité supposée innée des hommes, accréditant l’idée défendue par les apôtres du voile qu’il faut éloigner les femmes du regard des hommes. De plus, elles leur offrent l’argument en or (concurrence toujours) que ce qui est prôné et valorisé ici est critiqué dès qu’il s’agit de l’islam, comme on le lit ce tweet de février 2017

#Cdenquete si c’était un musulman ( ou musulmane) qui aurait ouvert une salle de sport juste pour les femmes on aurait crier au scandale !

Enfin, confondant à dessein des choses totalement différentes, elles accréditent l’idée que nous n’avons finalement rien obtenu de notre lutte pour l’égalité et que notre société n’a rien à offrir aux femmes et aux hommes musulmans qui voudraient de ce modèle qui impose malgré tout une difficulté.

Le CCIF joue d’ailleurs sur tous les tableaux, utilisant dans sa communication le dogme prôné par les féministes en écrivant musulman-e-s, tout en menant une Class Action et des plaintes en justice contre Laurence Rossignol pour avoir déclaré à la radio que les femmes portant le foulard seraient comparables aux nègres afric…américains qui étaient pour l’esclavage.

#islamophobie #2017 peser sur les élections

Imposer ce mot, avec lui l’idée qu’il y a beaucoup d’islamophobie en France et que cette islamophobie est une politique de l’Etat est un combat essentiel du CCIF. L’un des objectifs est, en conséquence, de donner le label « islamophobe » ou « moins islamophobe » aux candidats lors des élections présidentielles et législatives de 2017. La gauche est particulièrement impactée par ce combat. La critique et les attaques contre Manuel Valls par le CCIF ont été constantes pendant qu’il était au gouvernement, notamment parce qu’il refuse d’employer le mot islamophobie. On sait que le sujet a été central lors des primaires de la gauche. Le CCIF a fait campagne contre Manuel Valls par tous les moyens possibles. De nombreux tweets injurieux ont été postés sur les réseaux sociaux à cette occasion. Il est donc fort tentant d’adopter une ligne plus conciliante, voire clientéliste, et c’est ce qui est reproché par Caroline Fourest et d’autres à Benoit Hamon.

Dans un numéro récent, Lutte ouvrière évoque le conflit sur ce sujet dans l’extrême gauche en soulignant que les initiatives « contre l’islamophobie » qui se sont multipliées depuis l’attentat contre Charlie hebdo, ont tous été en réalité des tribunes pour des organisations islamistes et communautaristes et qu’elles se sont faites avec la participation ou le soutien de groupes ou partis de gauche (Attac, Ensemble, EELV) ou d’extrême gauche (anarchistes libertaires, antifas, NPA). Le mouvement estime en conséquence que le terme d’islamophobie est « ambigu », et que l’équation, imposée par les islamistes et leurs amis, selon laquelle lutter contre la religion musulmane signifierait être raciste, est une escroquerie.

Le clientélisme joue ici comme ailleurs pour favoriser la cause des mouvements islamistes. On connait l’exemple belge, mais peut-être moins celui de l’Espagne avec le jeu des indépendantistes catalans avec les islamistes : l’ancien parti Convergence et Union (CiU), ancêtre du Parti démocrate de Catalogne et Maison commune d’Artur Mas et Carles Puigdemont, entretiennent des relations étroites avec plusieurs personnalités appartenant à la mouvance fondamentaliste et pour Washington depuis plusieurs années, la capitale de la Catalogne est le plus grand centre d’activité des islamistes radicaux en Méditerranée.

Intimidation et Confusion : bienvenue sur Internet

Il faut résister et ce n’est pas simple. Ce n’est pas simple parce que la première technique utilisée, l’intimidation, conduit à se sentir isolé et réduit au silence. Marc Angelot écrit

L’Internet est en passe de se transformer (ou bien c’est déjà accompli) en une vaste mêlée hargneuse et haineuse où tous les coups de la rhétorique éristique (note de l’auteur : définie dans L’art d’avoir toujours raison de Shopenhaeur) sont permis, où tous les débats carburent à l’outrancier, tournent à l’invective, à la reductio ad Hitlerum ou ad Stalinam, au procès en règle, et notamment au procès d’intention instruit à la façon d’un réquisitoire «vychinskyen», à la menace explicite, à la volonté de censurer, de réduire au silence. …Au moindre «mot de travers», la vigilance intimidatrice et bienpensante se déchaîne, celle notamment de lobbies «professionnels» qui ne s’imposent à l’opinion que par ces procédés. Les lobbies identitaires qui s’activent sur le web et dans les médias et qui alimentent l’esprit de censure sont tous inconditionnels d’une Cause exclusive, cause qu’ils ont mandat de protéger par tous les moyens contre toute discussion, toute objection et tout examen – du lobby sioniste au lobby gay en passant par tous les lobbies identitaires, ethniques, religieux – tous fonctionnent à l’intimidation, à la menace, à la dénonciation, au refus de débattre, à la mise au pilori des gêneurs et des réticents. …Les traités classiques disposaient d’une catégorie qui englobe une bonne part de ce que je désigne comme intimidation: ils dénommaient sophisme ad baculum toute forme de «raisonnement» qui vise à réduire l’interlocuteur au silence en l’ensevelissant sous l’opprobre et à mettre par là un point final car il n’y a pas lieu de discuter avec un adversaire déconsidéré. L’argumentum ad odium, tout proche, désigne le fait de rendre odieux au regard de valeurs fondamentales ou de la décence élémentaire les idées de l’opposant: «Vous devriez avoir honte de soutenir une idée pareille; seul un fasciste, seul le pire raciste etc.», «Dites donc, c’est pas mal sexiste, votre truc!» – c’est ici le procédé de l’étiquetage : simple et efficace, il opère à fond de nos jours. »

La répétition de tweets, commentaires ou apostrophes par des groupes minoritaires mais déterminés est une technique très éprouvée sur les réseaux sociaux. Elle va jusqu’aux injures voire à l’appel aux attaques physiques si nécessaire. Il suffit par exemple de défendre ou retweeter Elisabeth Badinter pour comprendre que ceux qui s’érigent en protecteurs des victimes du racisme ne sont en aucun cas des débatteurs pacifiques ou respectueux d’autrui.

Pour sortir de notre tropisme franco-français, la situation dans les Universités québécoises décrite dans cette vidéo très bien faite est fort intéressante pour voir l’utilisation de la censure sur la liberté d’expression en utilisant l’argument d’islamophobie (et d’autres phobies d’ailleurs).

La deuxième technique est celle de la confusion. Les jeux sur les mots, nuances et trucages de chiffres subtils font florès comme dans beaucoup de médias ( de ce point de vue on attend encore le vrai décryptage lorsque les mensonges sont subtils…)  et leurs auteurs, quand ils sont habiles, comptent sur le fait que nos capacités de vérification et d’absorption ne sont pas accrues par le web, au contraire puisque les capacités de notre cerveau d’acquérir, de stocker, d’assimiler et d’émettre de l’information sont restées inchangées face à la croissance explosive des techniques de communication de l’information.

Pour revenir à l’islamophobie, de nombreuses confusions sont à l’œuvre et je reviens au début de l’article pour noter l’essentiel : le glissement de la peur vers le rejet qui sous entend que cette peur pourrait être un rejet si ceux qui nous font peur devaient prendre le pouvoir comme le souligne Daniel Sibony. Autant il est inadmissible d’être raciste envers les musulmans, autant, au vu de la guerre en cours depuis Les Versets sataniques (il y eu 28 ans le 13 février que cette première fatwa d’un chef d’Etat contre un écrivain a été publiée), il est parfaitement légitime d’être islamophobe ou islamistophobe au sens où il est légitime et de bon sens de craindre une religion qu’un mouvement (ou une mouvance pour satisfaire certains) utilise pour imposer son projet de société sur les autres, projet parfaitement revendiqué. Dire que les musulmans ne sont pas tous terroristes ou islamistes oui, 100 fois oui. Dire que l islamisme et le terrorisme n ont rien a voir avec l’islam non, 100 fois non.

Autres sources que les liens et citations placés dans l’article

Et d’abord pour vous distraire en raison de la longueur du texte et vous remercier d’avoir tout lu, le clip  Hoy tengo miedo (aujourd’hui j’ai peur) du  groupe mexicain Fobia   https://www.youtube.com/watch?v=R4Kq5BRv0ZA

Site du CCIF http://www.islamophobie.net/

Article de Cincinnatus sur son blog: https://cincivox.wordpress.com/2016/02/15/quils-me-traitent-donc-dislamophobe/#more-842

Site d’Isabelle Kersimon et article très fouillé sur le CCIF

http://islamophobie.org/gilles-clavreul-contre-tariq-ramadan-et-les-indigenes-de-la-republique-le-dessous-des-cartes/

Article de Céline Pina sur Marwan Muhammad http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2016/11/02/31003-20161102ARTFIG00182-celine-pina-marwan-muhammad-porte-parole-des-musulmans-pardon-des-islamistes.php

Chiffres : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/02/17/31003-20150217ARTFIG00251-un-tsunami-islamophobe-en-france-attention-aux-chiffres.php

Lois : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/01/20/l-islamophobie-est-elle-punie-par-la-loi_4559911_4355770.html#qVqVpVra1jHYR5tW.99

Procès Bensoussan http://www.marianne.net/proces-georges-bensoussan-leur-objectif-est-interdire-penser-100249457.html

Elisabeth Badinter  et l’islamophobie http://www.marianne.net/elisabeth-badinter-il-ne-faut-pas-avoir-peur-se-faire-traiter-islamophobe-100239221.html  .

Dernier livre paru : Un racisme imaginaire La querelle de l’islamophobie Pascal Bruckner, Grasset, 2017

 

 

4 réflexions sur “Phobie

  1. Bel et courageux article !
    Mais attention : « oui, 100 fois oui… non, 100 fois non.» : dans ce cas, en bon français, on écrit le nombre en toutes lettres.
    Oui, cent fois oui !…
    Accessoirement, ça aide à comprendre pourquoi on dit « avoir cenT ans », « payer cenT euros», etc.

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