Sonnet

William-Cliff

Le modèle du poème idéal pourrait être le sonnet, comme l’explique Jean-Michel Maulpoix dans « Les 100 mots de la poésie » (un livre pour moi, ai-je tout de suite estimé)[1]. Pour l’illustrer j’ai choisi un sonnet contemporain, l’occasion rêvée pour évoquer William Cliff, un poète vivant que j’adore,  croisé au dernier marché de la poésie.

Le sonnet, qui apparaît en France au XVIe siècle, venu d’Italie est encore utilisé car sa forme contraignante, comme le souligne Charles Baudelaire, fait jaillir l’idée plus intense tel le morceau de ciel aperçu par un soupirail donne une idée de l’infini plus profonde qu’un grand panorama.

Le texte de William Cliff est inséré dans le livre Matières Fermées composé comme un seul et unique poème, une suite de sonnets qui peuvent se lire comme un roman en vers tout autant qu’un recueil traditionnel.  Le thème est, comme souvent, l’autobiographie, de l’enfance aux amours homosexuelles.

Le livre illustre parfaitement cet autre constat de Baudelaire : « Tout va bien au sonnet : la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique ». Le ton du texte, passant de l’ironie au lyrisme, du clin d’œil à la réflexion, l’utilisation, fréquente chez Cliff de tournures inhabituelles (anciennes ou locales, ici « j’écrivons »), l’usage d’une langue familière dans un texte rimé, rien ne semble artificiel chez William Cliff. Il réussit cette prouesse d’intégrer la modernité, voire la trivialité de notre monde, dans un chant qui se poursuit depuis des siècles, la poésie, ici personnifiée par le sonnet avec ses alexandrins.

Enfin, ce texte est un regard ironique mais que l’on peut penser aussi ébloui, du poète sur son art : sa position négligente (enfoncé dans ce vieux fauteuil fort défoncé), la fragilité de ses outils (ce stylo dont l’encre n’est pas permanente), la surveillance des maîtres (ici le poète Laurent Fourcaut), la technique (compter les syllabes)  dont la «bêtise » aspire au sublime avec le vers final (Et qu’au cœur du lecteur cet hymne s’éternise). Un vers final d’autant plus important dans le sonnet où il doit apparaître comme une brève conclusion, brillamment formulée, une sorte de morale éclairant le sens du texte.

32.

Enfoncé dans ce vieux fauteuil fort défoncé,
jambes en l’air posées sur l’accoudoir d’en face,
je renverse la tête vers le ciel bouché
par les nuées de Mer du Nord qui se déplacent,

et avec ce stylo dont l’encre bleue s’efface
(il paraît que cette encre n’est pas permanente),
j’écrivons ce sonnet sous l’ombre surveillante
de Laurent Fourcaut et de son regard sagace,

car cet homme suprêmement intelligent
ne me passera pas la moindre balourdise,
j’écrivons ce sonnet malgré cette bêtise

d’écrire en comptant mes syllabes comme un chant
qu’on fait rimer pour que ce soit touchant
et qu’au cœur du lecteur cet hymne s’éternise.

William Cliff

Né André Imberechts le 27 décembre 1940 à Gembloux (Belgique). Il est venu à la poésie notamment grâce à sa rencontre avec le poète catalan Gabriel Ferrater, qu’il a traduit en français. Il cite aussi comme modèles Marguerite de Navarre et Charles d’Orléans. Il utilise les formes des poètes qu’il admire : le rondeau de Charles d’Orléans, le dizain de Maurice Scève ou le sonnet de Shakespeare. Il a publié son premier recueil de poèmes en 1973, Homo sum, qui paraît chez Gallimard, soutenu par Queneau.

Comme l’écrit  Guillaume Lecaplain dans William Cliff élève le banal au sonnet

Les textes ainsi produits portent le paradoxe d’obéir à une certaine complexité formelle tout en étant très accessibles pour des lecteurs même pas du tout aguerris aux poèmes élisabéthains. Car si la poésie de William Cliff a bien une caractéristique, c’est qu’on ne sent jamais la forme à la lecture. Ses vers sont connus pour pouvoir être parcourus dans une grande fluidité. Ici, les phrases s’enchaînent d’un vers à l’autre, d’un paragraphe à l’autre et même parfois d’un poème à l’autre, créant comme un vaste récit général. L’impression de simplicité, presque d’humilité dans l’écriture, est encore renforcée par un vocabulaire peu complexe et des rimes (souvent) pauvres

Le style de William Cliff rappelle aussi celui de Michel Houellebecq.

William Cliff a reçu, pour récompenser l’ensemble de son œuvre poétique, le Grand prix de poésie de l’Académie française en 2007, le Prix quinquennal de littérature en 2010 et le Goncourt de la poésie-Robert-Sabatier en 2015.

Interview récente de William Cliff

[1] Que sais je, mars 2018

Une réflexion sur “Sonnet

  1. Pas mal. Je respecte les auteurs qui se tiennent à ajouter leur pierre à l’édifice. Qui s’efforce d’accepter la contrainte d’une forme littéraire. C’est peut-être l’essence de l’humilité.

    Je dois avouer que, exil oblige, je m’immerge dans la poésie anglo-saxonne qui continue à me toucher bien davantage que la française.

    Curieusement, le sonnet shakespearien est un sonnet avec un vocabulaire relativement pauvre, par rapport aux pièces. Et, à dire à haute voix, cette langue reste encore plus fluide, plus « naturel » (mais.. pourquoi éprouvons-nous si régulièrement le besoin du « naturel » ?…) que celle des poètes anglais ou américains bien plus tardifs.
    C’est dommage qu’un des effets les plus pervers de notre modernité est de cantonner notre passé dans un musée, et derrière des vitres où nous ne sommes pas autorisés à le toucher. (cf l’encart)
    Combien de fois ai-je remarqué comment mes contemporains (et pas seulement les moins instruits…) ne parviennent pas à s’autoriser à toucher ce passé pour se l’approprier, et l’incarner, le rendre vivant. Shakespeare est très accessible, et bien plus que certains poètes élisabéthains qu’on appelle les métaphysiques, car ils font de la philo (mais de la belle philo, et pas dans une prose exsangue).

    Mais y a-t-il plus grand plaisir que d’avoir travaillé durement pour déchiffrer les images, l’enchaînement stylistique, rhétorique, (attention, il ne s’agit pas de faire du relevé de numéros, mais de comprendre pourquoi telle image est à tel endroit, et sentir son utilité, son sens au déroulement du poème) d’un très beau poème pour éventuellement le dire à haute voix, le mémoriser, en l’ayant bien labouré afin qu’il produise tous les fruits… spirituels ? esthétiques ? qui sont à notre disposition, sur le coup, en sachant que plus tard.. on pourra y revenir pour en trouver d’autres encore, au fil des ans ?

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