Etoile de mer

Portrait_Dominique-Dimey_02

Bernard Dimey et sa fille Dominique

Sans doute est-ce le débat sur la planète, les océans et tout ça qui m’a fait choisir ce texte de Bernard Dimey, pour un point d’actualité poétique, et décalé. Bernard Dimey me direz-vous mais qui est-ce ? Beaucoup d’entre nous ne connaissent de lui qu’une chanson d’Henri Salvador dont il a écrit le texte en une demi-heure, Syracuse.

Mais Bernard Dimey, parolier à succès, était aussi et avant tout un poète.

Dans ce texte Dimey retrouve l’un de ses thèmes favoris, le temps qui passe et la peur de la mort, mais il le fait miroiter d’une façon que je trouve saisissante. Il nous emmène au fond des océans, dans ces « étranges jardins que nul n’a jamais vus », il crée le paradoxe d’une « magie du spectacle » qui demeure une fois l’océan disparu. Les étoiles de mer en sont les fleurs cruelles nourries du cœur et de la tête des morts. Il savait certainement que les étoiles de mer sont des animaux (des echinodermes, quel nom !) « omnivores opportunistes à tendance carnivore ou détritivore suivant les espèces et la disponibilité en nourriture ». Ce très beau poème ne choisit donc pas entre l’homme et la nature, il les unit, il conserve sa tendresse pour les morts et se termine sur un matin qui peut sembler une renaissance. Ce matin est déjà présent dans la première strophe, dès le premier vers sur la fin des océans. Cet alexandrin est ponctué de deux virgules, rythmé en 6/3/3 syllabes, ce qui lui donne une certaine solennité: Si les eaux de la mer, un matin, se retirent,. La strophe se termine par un vers qui est une variante du premier : Si les eaux de la mer se retirent, un matin. La forme du poème est une succession de quatrains en alexandrins aux rimes croisées. Dimey maitrisait parfaitement l’alexandrin et la forme poétique. Il écrivait aussi extrêmement vite, quasiment sans ratures et voyait tout de suite la rime qu’il fallait employer pour amener le mot important qu’il voulait dire.

Étoile de mer

Si les eaux de la mer, un matin, se retirent,
Nous dévisagerons tous les siècles éteints.
Le temps sera fini des larmes et du rire.
Si les eaux de la mer se retirent, un matin,

Nous irons ramasser des rames de galère
Pour y sculpter la forme exacte d’un violon
Qui chantera pour nous les hymnes de naguère
Comme les galériens vers les quatre horizons…

Les étoiles de mer fleuriront à miracle
En d’étranges jardins que nul n’a jamais vus.
L’océan garde en lui la magie du spectacle
Que les plus vieux poissons des grands fonds ont connu.

Jardins du fond des mers, où les noyés reposent
Avec leurs yeux ouverts qui ne pourront plus voir,
Regards éteints tournés vers le secret des choses,
Inconnus sommeillant sur un lit d’algues noires.

Les étoiles de mer sont vivantes et cruelles,
Qu’elles se ferment donc en silence sur eux,
Que la tête et le cœur nourrissent les plus belles:
Aucun matin du monde a-t-il désiré mieux?

Bernard Dimey

Bernard DIMEY

Il est né le 16 Juillet 1931 à Nogent dans une famille modeste (son père était ouvrier).

Très doué, il s’intéresse à la peinture (sous le nom de Zelter) et écrit de nombreux romans et des nouvelles, qui sont tous refusés par les éditeurs. Il publie deux recueils de poèmes à compte d’auteur. Puis, ayant découvert les premières chansons de Léo Ferré il décide d’ écrire des chansons. Il disait:

 le problème du roman, c’est qu’on ne rencontre jamais personne. Le manuscrit lu par des inconnus, part et revient sous enveloppe. La chanson, au contraire, on peut la montrer sans intermédiaire, c’est même nécessaire. Ensuite, elle plait ou elle ne plait pas.

En 1958, alors qu’il vit sur la butte Montmartre, il installe son QG au «  Pichet du tertre  », en haut de la butte, un lieu de rendez-vous accueillant comédiens, chanteurs, compositeurs, peintres et musiciens dont beaucoup deviendront célèbres : Michel Magne, Michel Colombier, Mouloudji, Pierre Barouh, Claude Nougaro, Jean Yanne, Hugues Aufray, Monique Morelli, Cora Vaucaire, Guy Béart, Catherine Sauvage, Charles Aznavour, Michel Simon, Poiret et Serrault, Nicole Croisille, René-Louis Laforgue…

Y avait le flamand, café noir, guitare (a)
Les dents en avant et le verbe haut
Y avait René-Louis qui serait plus tard (b)
Pour Julie sa rousse le dernier macho
Y avait l’champenois le verre à la main (c)
Cigarette au bec, Rimbaud des bistrots
Puis y avait Pascal qui serait demain
Jean-Claude et pas Blaise…faut pas d’mander trop !
Et tout ça s’retrouvait
Place du Tertre au Pichet
Pour dévorer la nuit
Pour s’inventer la vie  » (17)
a/ Jacques Brel
b/ René-louis Laforgue
c/ Bernard Dimey

C’est là que Dimey rencontre Francis Lai, et passe avec lui des nuits à écrire le plus de chansons possibles. Leur collaboration va durer quelques années.

Entre 1961 et 1967 il connait un très grand succès comme parolier et écrit des chansons pour nombre d’interprètes dont Yves Montand, Charles Aznavour (Monsieur est mort  et  L’amour et la guerre), Patachou, Juliette Gréco, Mouloudji (Une soirée au Gerpil), Les Frères Jacques (Fredo, Le quartier des Halles…), Serge Reggiani (Si tu me payes un verre, Les seigneurs), Zizi Jeanmaire (Mon truc en plume) et le fameux  Syracuse. Il écrit des scénarios et dialogues pour le cinéma : Détournement de mineures (1959) de Walter Kapps, Le magot de Josepha (1964) de Claude Autant-Lara, Deux heures à tuer (1965) de Ivan Govar, Le dernier mélodrame (1978) de Georges Franju… Et il écrit des poèmes qu’il déclame dans ses repaires. On dit qu’il improvisait des alexandrins devant l’étal du poissonnier de la rue Lepic.

En 1976 Dimey disait avoir 1000 chansons déposées à la SACEM, dont 200 enregistrées . On peut y ajouter l’enregistrement de cinquante textes sur fond musical par différents interprètes ainsi que deux cent vingt textes versifiés ou en prose poétique qui ont été enregistrés par Bernard Dimey lui-même.

Porté sur l’alcool, Bernard Dimey aimait faire ripaille à la Mascotte, la célèbre brasserie des Abbesses et avait sa table au Lux Café, rue Lepic, juste en face du bureau de son éditeur. Son portrait en noir et blanc est encore accroché dans la salle. Mais il aurait voulu être écrivain et vivait la chanson comme un pis-aller, d’autant que les chansons s’oublient vite et que le parolier n’est pas celui dont on se souvient ainsi qu’il le faisait remarquer. S’il ne se préoccupait pas du lendemain (ni du fisc qui finit par le rattraper), il aspirait à cette éternité du grand poète:

Moi qu’écris des chansons pour occuper mes heures
J’aimerais en faire une qu’on n’oublierait jamais
Afin que parmi vous un peu de moi demeure
Comme une fleur vivace aux marches du palais.

Sa situation devient plus difficile quand la vague yéyé évince les chansons à texte. Bernard Dimey meurt le 1er Juillet 1981 à l’âge de 49 ans.

Quelques sources

Bernard Dimey par Francis Couvreux

BERNARD DIMEY ET SES PREMIERS INTERPRÉTES, POÉSIE ET CHANSONS 1959-1961
Direction artistique : FRANCIS COUVREUX
Label : FREMEAUX & ASSOCIES

Site sur Bernard Dimey.

Sur le site de l’Association des écrivains de Haute Marne

2 réflexions sur “Etoile de mer

  1. Merci de m’avoir fait découvrir ce poète.
    Si c’est vrai qu’un parolier est moins connu que celui qui fait la musique, à eux deux, ils font une oeuvre qui parfois marque, et dure plus longtemps qu’un écrit seul.
    Et puis, la musique aide pour se souvenir des paroles, et c’est comme ça qu’on… garde ce qui nous a marqué, en le mettant sur notre dos, pour colporter, et nous consoler en temps voulu.

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