Draps

1992

Déchirure dessous mes doigts
Qui te cherchent
Dans l’ombre d’une armoire
Des draps pliés
Avec l’odeur des fleurs séchées

2022

Les ombres sur les draps roulent dans les talwegs du soir où les amants, après l’échauffourée sur l’herbe humide, ont repris leur souffle et fermé les yeux, puis se sont réveillés, à flanc de nuit, surpris une fois encore d’être seuls sur terre, comme si leurs âmes refroidies avaient touché le ciel pour se séparer ou pour s’étreindre encore. Je sens la morsure de ton absence sur le bout de mes doigts.

Leurre

1992

À vous je donne sans me livrer dites-vous

J’apprends à ouvrir les pages humides

À déposer en vous une larme du passé

Je leurre en moi l’amour, vous reculez, j’appelle

et coule les fards maternels dans vos yeux

Je vous rends à ce temps où je rêve de nous

Vous dites nommer est une jouissance

Je peine à me déshabiller sans retour

2022

Vous, pour m’interdire l’espoir de sentir durcir en moi le désir de nous

Toi, banni de ma bouche pour décevoir doucement chaque rencontre avec vous

Moi, désunie infiniment dans les mots sensibles que tu bois jusqu’à ma lie

Nous, inexistence féconde, échancrure d’une terre avide de submersion – vous l’eau transparente, moi la source introuvable

Chercher, trouver, oublier, tous nos verbes se perdent dans l’intensité de mon sexe battant

Patiente

1992

vulve ensommeillée, languissante de toi

de toi dont elle vole la douceur,

vulve maternelle,

de toi qu’elle retient tout entier,

vulve d’amante,

de toi dont elle prend la mesure,

vulve de femme,

de toi dont elle vide l’absence,

vulve de patience

2022

lenteur de langue

solitude des doigts

main ronde, entière

glissée de latitude en latitude

je tourne autour d’elle

déclivité rampante

chuchotement de peau

joie onctueuse, pincement

le grain de l’attente dans un cri

Fleuve

1991

Efflorescence pourpre, brusque résurgence de l’idéale caresse

Retour de joies anciennes, ferveur rendue à l’océan de chairs

Fleuve détourné sans relâche, aux matins inaccessibles

Corps mariés sous le sable, sexes résignés à jouir violemment

2022

Attente résignée, chaque soir, après le matin ténu

Impatience d’un partage des peaux, au cœur du bocage cerné de futaies hautes

Violence silencieuse d’une volupté, dispersée sur les eaux indifférentes

Langueur au seuil du ravissement, vain espoir d’une floraison tardive

Citadelle

1991

Citadelle de mots, fusion de langages, tu tournes sans cesse en toi-même les phrases douces qui bercent l’enfant immobile.

Elles l’entourent, le protègent et l’encerclent, elles déroulent avec elles le silence qu’elles remplacent autour de l’enfant, de la femme.

Tes mots ont entrouverts mes bras et mes lèvres, je me suis enivrée d’une phrase sans fin, jour après jour, louange et blessure, déferlante infinie.

Les noms que tu essaies à nos désirs muets engendrent sous ton regard cette femme qu’ils désarment et pénètrent.

2022

Je suis la citadelle dont tu souffles les échos dans la fusion des temps, hier et aujourd’hui de nouveau réunis, aussitôt séparés.

Tu tournes en nous les phrases charnelles que j’enroule autour de mes lèvres, pour te protéger de la mort et m’encercler avec lui.

Tes paroles réveillent chaque jour la blessure que nous tenons secrète, il nous écoute gémir et nous enivrer de notre gémellité fausse.

Nous devenons une femme sous son regard et ses mains, toi l’enfant douce du silence et moi la femme attentive à la berceuse oubliée.

Affamée

.

1991

Je m’affame de nos silences, fausses jouissances où se perdent les mots.

L’absence hante les progrès du désir, mon ventre se creuse d’un nouveau murmure.

Puissance affamée, œuvre à la levée des mots dans notre gorge, érection douce de ton attente.

Ton sexe est attentif aux fleurs qu’il honore.

2022

Le ventre se creuse de solitude.

J’ai déployé autour de ma poitrine une nuit fulgurante, où je ne vois plus ta bouche.

Jouissance, jouissance, douce érection de l’attente au cœur des paroles nues restées dans ma gorge.

Je me suis affamée de notre silence.

Souffle

1991

Je me suis laissée dériver sur ton souffle – tu exhales l’odeur des fleurs qui s’épanouissent – ton souffle retenu fait vibrer mon ventre.

J’ai déambulé dans ton attente infinie, me suis apaisée dans ton immobilité – tu te recueillais, rêveur, dans ces fossiles, pelotonné au cœur d’intimes spirales, enroulement toujours ouvert sur toi-même, conque immobile qui palpite et vibre, patience inconcevable, attente bord à bord.

2022

Je déambule dans le souvenir de mon attente intime, apaisée par la chaleur de ton regard posé sur ma joue – tu recueillais dans ma voix les fossiles tapis au cœur d’infinies spirales, l’enroulement ouvert pour toi de ma chair, la conque patiente, désireuse de l’inconcevable baiser.

Je laisse pénétrer en moi ton souffle léger, légère comme une respiration retenue ; les rues exhalent une odeur de fleurs flétries.

Fleur

1991

Leitmotiv, ma fleur d’éphémère, effarante, affolante douceur, dédale de chair parfumée, demi-ombre dans les lampes, réceptacle des corps traversés par des phrases que défont mes transports immobiles.

Leitmotiv, ma douleur dans laquelle ton visage attentionné puise sa limpidité, désir de cette fleur à tes côtés, affolante, effarante, éphémère douceur de l’éclosion incessamment renouvelée de celle que tu effleures.

2022

Leitmotiv, ma fleur de chair effarante, nécrophage, fleur de phrases perdues dans un dédale de silence, lèvres suppliantes de la douceur de tes mains et de ton visage améthyste, au parfum de nos sexes emmêlés.

Leitmotiv, ma fleur affolante de chair immobile, paroles et désirs assourdis, éphémère douleur de l’absence, attente de l’éclosion de l’obscurité dans ta demi-tombe où tu m’effleures toujours.

Deuil

Recueil

1991

Je suis tout ensemble, immobilisée devant ta porte, creusant à tes côtés l’abîme de mon corps ouvert, et dans les métros qui l’enlèvent et le ramènent à ton sexe pour un acte rêvé, la brève et douce exubérance distend chacun de mes instants en une vie de souvenirs futurs, entêtante douleur d’un amour d’ores et déjà endeuillé.

2022

Immobile, j’attends devant la porte l’invite secrète à creuser à ton côté l’abîme de mon corps. Je me déshabille en prolongeant ton regard sur ma nuque, et ma poitrine ouverte. Ton sourire flotte douloureusement sur les vitres de mes wagons d’oubli. J’oppose, pour le briser, mes plaintes à ton silence, tes mains lancinantes en deuil de mon sexe.